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2 juin 2013 7 02 /06 /juin /2013 19:31
Ogata Shingo est le personnage central du livre.

 

·       Qui est-il ?

 

Un vieillard de soixante deux ans (!), un homme malade de tuberculose, un père de famille qui assiste au délitement d'un monde, celui du Japon millénaire et de ses traditions, et à l'émergence tumultueuse d'une société nouvelle de type occidental, celle dans laquelle vivent les personnages plus jeunes qui l'entourent, ses enfants, leurs conjoints respectifs, d'autres personnages encore qui gravitent autour d'une cellule familiale qui se détruit peu à peu. Un homme lucide, qui a mené une vie banale et qui sent la fin proche.

 

·       L'alerte de la nature

Shingo est obsédé par la mort. Il la sent proche.

" Que la nuit est profonde au clair de lune ! Il la ressentait en lui, cette profondeur qui s'enfonce à l'horizontale, jusqu'au lointain… Soudain le grondement de la montagne parvint jusqu'à Shingo… Il ressemble ce grondement, à celui du vent lointain, mais c'est un bruit de force profonde, un rugissement surgi du cœur de la terre. Comme il semblait à Shingo qu'il ne résonnait peut-être que dans sa tête et pouvait provenir d'un bourdonnement d'oreilles, il secoua le chef.

 

Le bruit cessa.

 

Alors Shingo fut effrayé.

 

Il frissonna comme si l'heure de sa mort lui avait été révélée."

 

Le grondement de la montagne est un signal. Que lui reste-t-il ? La jeune femme, Kinuko, et la mort.



·       Une relation à la nature qui nous est inaccessible, voire incompréhensible
 
L'heure du bilan approche. Shingo observe le monde qui l'entoure. Il cherche quelques points de repère bien fragiles qui s'incarnent tantôt dans des arbres, des pins, des cerisiers, des érables, des gingkos, dans des fleurs, les trounesols,  tantôt des oiseaux, des insectes ou des animaux, des langoustines, des machaons, des cigales, une chienne etc. Nature à la fois proche et inaccessible dans laquelle se cachent encore les dieux kamis du shintoïsme. Comme beaucoup de japonais, Shingo est très attentif à la nature et à ses manifestations les plus infimes. Chez lui, chaque sentiment, chaque émotion trouve écho dans la nature. Est-ce là une attitude fondée sur la mythologie ? La nature est en lien étroit avec l'ordre social. Il existe un va et vient permanent entre la vie intérieure et le monde naturel.
  

 

- La conscience d'un monde en voie de disparition
 
Shingo vit dans un monde où les trains avancent inexorablement, convergeant vers les grandes cités, vers le monde de la destruction, de la destructuration. La proximité de la mort se fait plus envahissante, seuls quelques rêves non aboutis lui permettent d'échapper à cette obsession et de chercher l'instant fugace de l'amour le plus pur.

Il essaie dans d'ultimes recherches, prenant tantôt la forme de rêves, tantôt l'apparence de phénomènes naturels, de s'agripper à des bribes de vie où règne encore quelque brume de pureté et de désir absolu dans laquelle se dessine de manière éphémère le visage irradiant de Kinuko, sa belle-fille, incarnation de la pureté, d'un amour idéal qui s'éloigne chaque jour encore plus.
Symphonie d'une déchéance inexorable, chaque jour plus lourde à assumer. Des compagnons de vie, qui disparaissent, des enfants qui sombrent socialement et psychiquement, une femme qui est là à ses côtés qui n'est pas la femme aimée jadis. Bref un monde nouveau dans lequel il n'a plus sa place.
Lucidité poignante et subtile de Shingo qui perçoit les moindres détails des vies qu'il côtoie, mais qu'il ne connaît pas et auxquelles il semble ne s'intéresser que par devoir, parce que c'est dans l'ordre des choses. Kinuko est l'incarnation fugace d'un idéal qui lui échappe à jamais, elle est ailleurs là où il ne peut plus aller, où il ne peut plus la rejoindre.
Pas de révolte, ni de soumission, un sentiment d'impuissance, devant les êtres et les relations qu'ils nouent entre eux. Shindo sait qu'il n'est que de passage.

A l'heure du bilan, Shingo, homme ordinaire et intelligent, qui s'est construit sur les valeurs d'une société en voie de disparation, comprend qu'il n'a fait que vivre dans un monde dans lequel les autres, et en particulier ses proches, n'ont été pour lui que des étrangers alors qu'il aspirait à des idéaux qu'il a sans doute cherchés mais qu'il n'a jamais atteints.

 

·       Le dernier regard de Shingo

Finalement le grondement de la montagne, annonciateur de la mort de Shingo n'incite il pas celui-ci à envisager les choses comme s'il les voyait pour la dernière fois ?

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17 novembre 2012 6 17 /11 /novembre /2012 12:48

 

 

Evidemment Mo Yan n'aurait pas obtenu le prix Nobel de littérature 2012, jamais je n'aurais eu l'occasion de lire un de ses livres. Et pourtant je me serais privé d'une vision de la Chine rurale à l'époque de la révolution culturelle qui ne manque ni d'intérêt, ni d'humour.

 

Je ne vais pas raconter l'histoire du veau en question, mais simplement vous inviter à vous plonger dans la culture chinoise, d'une manière simple, abordable et authentique.

Un récit plein de malice et aussi très critique à l'encontre du pouvoir de l'époque. Deux catégories de personnages : les vrais, ceux qui vivent dans la pauvreté, mais qui sont roublards comme pas un et puis les autres, les fantoches, les bureaucrates, les fayots, les gratte-papier, a la fois bêtes et imbus de leur personne. Il y a encore une troisième catégorie, celle que Mo Yan appelle les droitiers, c'est-à-dire les anciens riches, les intellectuels, que l'on a mis dan des camps de rééducation, mais qui ont conservé toutes leurs capacités. Quel gâchis semble dire Mo Yan !

Il est probable que si j'avais lu un tel livre il y a trente ou quarante ans, j'aurais crié à la réaction.

Mais aujourd'hui tout a changé, simplement les riches d'aujourd'hui font ami-ami avec le pouvoir politique, ils sont même souvent au pouvoir comme le premier ministre actuel. Quant aux pauvres ils sont toujours pauvres, et c'est de ceux là que Mo Yan nous parle. Il est dans leur camp. Avec sa truculence, il sait nous les rendre familiers malgré les différences de culture.

La lecture de ces deux nouvelles est un vrai moment de plaisir.

 

 

 

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20 janvier 2012 5 20 /01 /janvier /2012 19:11

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Un très beau libre publié aux Editions Métailié.

C'est l'histoire d'un vieil homme, un paysan calabrais, malade, qui monte à Milan chez son fils pour se faire soigner. Il déteste la ville et les Milanais. Mais au milieu de cet environnement hostile il fait la connaissance de son petit-fils Brunettino. Pour lui c'est une révélation. Peu à peu il découvre ce qu'il a toujours ignoré, voire méprisé, il voue a son petit fils une véritable adoration qui semble échapper de la partie féminine qu'il sent dans son for intérieur. Lui, le dur, l'homme tyrannique qui a les idées bien arrêtées sur toutes choses, l'homme du sud qui ne se sent bien que chez lui, au soleil, face à ses ennemis qu'il affronte sur la place de Roccasera son village natal, il se met à prendre dans ses bras le petit Bruno. Il veut l'initier à la vraie vie, il veut lui montrer ce qu'est un homme, un vrai. Il se retrouve dans ce bambin qui porte le même prénom que celui qu'il portait lorsqu'il était dans le maquis.

Le processus de séduction et d'évolution du vieux est décrit avec minutie et talent par Sampedro. Peu à peu le vieux Salvatore/Bruno découvre la tendresse, la complicité et l'amour auprès de ce petit bonhomme. Il sait qu'il va mourir bientôt, mais il remplit son dernier parcours de joies nouvelles et de rapports avec Brunettino mais aussi avec Hortensia, une femme du sud qui s'est exilée à Milan et qu'il prendra pour femme à l'extrême limite de sa vie. Cette femme lui révèle ce qui est l'essence de la féminité et qu'il n'a jamais soupçonnée.

Cette double "initiation à rebours" lui révèlera de nouvelles facettes de son être profond qu'il a jusqu'alors ignorées, sa dernière vie d'exilé lui apportera une vraie sérénité teintée de joie et de générosité qui fera se dessiner sur son visage de mourant un sourire étrusque,... un sourire pour l'éternité.

Le livre de Sampedro témoigne à la fois d'une profonde connaissance de l'Italie et des oppositions de style de vie entre le sud et le nord et d'une extraordinaire analyse du processus d'évolution d'un homme en fin de vie grâce à l'énergie et à la force qu'il puise dans la relation toute nouvelle qu'il établit avec son petit-fils de quelques mois et avec Hortensia une femme du sud qu'il a rencontré par hasard à Milan.

L'apogée du roman est la reconnaissance de cet amour et de cette filiation magique par le petit bambin lui-même.

C'est un livre plein de justesse et d'émotion qui nous montre que même à l'approche de la mort, dans un monde étranger et hostile il est possible de découvrir de vraies richesses et d'accéder à la sérénité, à condition de le vouloir et de saisir les occasions qui se présentent.

Le sourire étrusque est un livre sur la transmission, l'autre face de l'initiation.

Un livre très beau et tonique, que tous les sexagénaires et plus, devraient lire !

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3 janvier 2012 2 03 /01 /janvier /2012 17:10

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Ce livre, c'est l'histoire d'un homme et de ses sensations quotidiennes, brutes, simples, originales. Il s'agit d'un Italien du Sud, émigré en Argentine, qui a subi la dictature et la guerre. Il est de retour au pays. Il est jardinier, il rencontre une femme, il l'aime, elle l'aime. Un roman simple comme la vie d'un  jardinier, un roman riche comme la vie d'un jardinier.

Un arbre : " Un arbre a besoin de deux choses : de substance sous terre et de beauté extérieure. Ce sont des créatures concrètes mais poussées par une force d'élégance. La beauté qui leur est nécessaire c'est du vent, de la lumière, des grillons, des fourmis et une visée d'étoiles vers lesquelles pointer la formule des branches." (p. 23)

" Un arbre écoute les comètes, les planètes, les amas et les essaims. Il sent les tempêtes sur le soleil et les cigales sur lui avec une attention de veilleur. Un arbre est une alliance entre le proche et le lointain parfait." (p. 23)

La terre : " La terre a un désir de hauteur, de ciel. Elle pousse les continents à la collision pour dresser des crêtes.

Elle se frotte autour des racines pour se répa ndre dans l'air par les bois.

Et si elle est faite de désert, elle s'élève en poussière. La poussière est un voile, elle émigre, elle franchit la mer. Le sirocco l'apporte d'Afriques, elle vole des épices au marché et en assaisonne la pluie.

Le monde, quel "maestro"! " (p. 28)

Les livres : " Je lis les vieux livres parce que les pages tournées de nombreuses fois et marquées par les doigts ont plus de poids pour les yeux, parce que chaque exemplaire d'un livre peut appartenir à plusieurs vies. Les livres devraient rester sans surveillance dans des endroits publics pour se déplacer avec les passants qui les emporteraient un moment avec eux, puis ils devraient mourir comme eux, usé&s par les malheurs, contaminés, noyés en tombant d'un pont avec les suicidés, fourrés dans un poêle l'hiver, déchirés par les enfants pour en faire des petites bateaux, bref, ils devraient mourir n'importe comment sauf d'ennui et de propriété privée, condamnés à vie à l'étagère." (p. 22)

Ce qui est plus original, c'est la perception "géométrique" du monde qui entoure notre jardinier, à plusieurs reprises dans le roman il perçoit des lignes, des figures, des courbes :

" Ces jours-là, je vois clair dans la géométrie. Les vivants ne sont pas à la perpendiculaire des morts étendus, ils leur sont parallèles. La faux n'a pas la courbe de la lune, mais celle de l'œuf. Le pain gonfle en prenant la forme de la paume du boulanger. Le porter à sa bouche, c'est comme serrer la main de qui l'a pétri." (p. 30)

" Il faut tes mains pour faire de l'encens avec la sauge, dit-elle en reniflant, et la ligne de son nez fait un angle droit avec le plan de la table.

Je vois des histoires d'angles comme ça : s'ils sont aigus ils sont bons, s'ils sont obtus ils sont mauvais et s'ils sont à quatre vingt dix degrés, ils sont à égalité." (p. 35)

Je m'arrête maintenant de faire des citations, mais cette écriture de De Luca m'a réellement séduit, pour les raisons que j'ai expliquées.Un beau livre, simple et vrai.

Pour moi, c'est une littérature de l'observation, de la profondeur, du temps qui s'écoule à son rythme et de l'espace qui nous entoure peuplé d'arbres, de paysages, d'animaux et d'hommes. Il arrive que la guerre, une guerre absurde comme toutes les guerres vienne détruire ce précieux équilibre... alors les hommes en meurent et ceux qui survivent connaissent alors vraiment le prix de la vie et toute la richesse du monde qui nous entoure.

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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 17:11

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Je suis resté un peu désemparé après avoir lu les premières pages de ce roman en grande partie autobiographique. M. et Mme Ramsay deux des personnages clés du livre sont fortement inspirés par les parents de Virginia.

Le thème du roman est difficile à cerner, il n'y a ni histoire, ni intrigue, il s'agit d'impressions sur un lieu, une maison en Ecosse sur l'île de Skye, sur des instants, une période de vacances, sur des personnages, la famille Ramsay et leurs amis.

La romancière dans son approche romanesque semble fortement s'inspirer de la technique picturale de l'époque pour brosser quelques lumineux tableaux de cette maison située au bord de la mer et des personnages qui l'habitent.

Lorsque le lecteur a pris le parti d'abandonner ses habitudes de lecture et de se laisser entraîner par les longues phrases pleines de circonvolutions et de virevoltes, alors la vraie nature du livre de Virginia apparaît. C'est à la fois un livre sur les émotions et sur l'éternité de l'éphémère. Dès la première page, une clé nous est donnée : "...comme chez ces personnes, même en leur prime enfance, la moindre oscillations de la roue des sensations peut cristalliser et pétrifier l'instant qu'elle enténèbre ou illumine..."

Telle est la préoccupation de Virginia qui est incarnée par l'artiste Lily Briscoe qui n'arrive pas à saisir avec ses pinceaux la vision fugitive qu'elle a d'un instant, d'un bout d'espace, d'un personnage.

La construction même du roman, en trois parties, présente une originalité. La première partie intitulée "La fenêtre" nous fait pénétrer par effraction non pas seulement dans cette grande maison familiale, mais bien dans la sensibilité de chacun des personnages. Chacun observe les autres, cultive ses attentes et face au comportement des autres rentre en lui-même sans rien dire. Il suffit de lire les visages, d'observer les gestes pour comprendre.

Pendant ce temps Lily-Virginia n'arrive pas à exprimer ce qu'elle sent : "... C'est à l'instant où elle saisissait son pinceau que tout changeait. C'est pendant ce vol éphémère entre l'image et la toile que les démons se lançaient sur elle, l'amenant plus d'une fois au bord des larmes, et rendant ce passage de la conception à l'exécution aussi terrible que pour un enfant la traversée d'un couloir obscur. Cette sensation, elle la connaissait bien lorsqu'elle livrait un combat terriblement inégal pour conserver son courage; pour affirmer "mais c'est cela que je vois; c'est cela que je vois" et par là serrer contre sa poitrine un misérable lambeau de sa vision, que mille forces s'acharnaient à lui arracher."

Il en va de même pour le sentiment qu'elle porte à M. Ramsay. "Impossible d'exprimer ce qu'on a dans l'esprit."

Au fil des pages, nous pénétrons dans l'univers affectif de Mrs Ramsay, de M. Ramsay, de leurs enfants et des autres personnages. C'est une approche par petites touches posées dans une apparente incohérence, tout est subtil, évanescent, mais aussi puissant, violent sous la poussée des pulsions intérieures :

" Mais son fils le haïssait. Il le haïssait de venir vers eux, de s'arrêter et de les regarder; il le haïssait de les interrompre; il le haïssait de l'exaltation et de la sublimité de ses gestes; de la magnificence de sa tête; de son exigence et de son égotisme (en effet il restait planté là, leur ordonnant de le servir); mais par dessus tout il haïssait le pincé et le tremblé de l'émotion paternelle, qui les assiégeant de ses vibrations, troublait la simplicité et le bon sens parfaits de ses relations avec sa mère." On est en plein Oedipe n'est-ce pas ? (le roman est publié en mai 1927).

La seconde partie du livre tranche par le style très impersonnel, objectif, qui évoque un temps froid désincarné, inhabité. Soudain, on apprend que la mort s'est abattue sur quelques membres de la famille. Nous nous situons dans une autre dimension où les émotions n'ont pas leur place, celle du temps implacable de la vie réelle, temps qui s'écoule très vite et sur lequel les hommes n'ont pas de prise.

Et puis, il y a la dernière partie, intitulée " Le phare", celle du temps retrouvé. 10 ans ont passé. La maison restée à l'abandon se remplit à nouveau, comme dans un théâtre qui s'anime, les personnages arrivent les uns avec les autres, les uns après les autres... il y a aussi l'absence de ceux qui sont morts et à qui l'on pense à chaque instant.

Vient enfin le moment tant attendu de la promenade en mer vers le phare. Il y a ceux qui font la promenade en bateau, contraints par M. Ramsay et ceux qui restent dans la maison. La distance grandissante qui s'établit entre les deux groupes permet à Lily d'atteindre enfin, fugitivement ce qu'elle cherchait. Mystère de la présence oppressante, mystère de l'éloignement libérateur on est au coeur de la problématique de Virginia.

Un très beau livre. De la vraie littérature !

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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 23:11

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En décrivant, dans son livre le plus connu "Testament à l'Anglaise", écrit en 1994, les maléfices de la famille Winshaw dont le pouvoir sur le monde des affaires londonien a culminé sous l'ère Thatcher, Coe, par anticipation, nous parle aussi de nous aujourd'hui, tels que nous sommes, totalement immergés dans la société européenne néolibérale, société devenue aveugle et le seul objectif de ceux qui la dirigent est de gagner plus, toujours plus. Tiens, tiens ! Et la fin justifie les moyens n'est-ce pas ? On voit aujourd'hui, en 2011, où cela peut conduire l'ensemble du monde. Mais peu importepour les puissants et pour les riches, il suffit de socialiser les pertes et le tour est joué.
Jonathan Coe, nous décrit, sur la deuxième partie du 20ème siècle, l'ascension des membres de cette famille Winshaw qui se glissent peu à peu dans toutes les tentacules de la pieuvre du pouvoir marchand et financier. Il nous montre également les effets de cette solidarité de classe qui injecte sans faillir dans nos sociétés modernes les soi-disant remèdes du néo-libéralisme qui seraient aujourd'hui la seule alternative possible au chaos. Dans ce livre de presque 700 pages, Coe passe en revue les pratiques abusives et inhumaines du milieu financier, des marchands d'armes, de l'agro-industrie, des spéculateurs du monde de l'art, mais aussi l'arrogance de ceux qui détiennent le pouvoir médiatique et enfin l'omniprésence des banquiers et des politiciens qui leur sont inféodés.

Chez Coe, il y a du fond, mais aussi du style. Coe fait preuve d'un remarquable esprit caustique lorsqu'il décrit par exemple le monde cruel de la télévision ou les conditions inimaginables des blocs d'extermination en masse de volatiles qui n'ont jamais vu le jour avant de finir dans nos assiettes et qui ne peuvent se tenir debout sur leurs pattes faute d'avoir jamais pu s'en servir, ne serait-ce que pour faire un mile.

Il excelle également dans le maniement de l'humour tel ce passage à la fin du livre lorsque les derniers des Winshaw se font assassiner un à un par un mystérieux criminel, dans le manoir familial glacial situé au coeur de la campagne anglaise. On se croirait dans un roman d'Agatha Christie, c'est assez savoureux.

Enfin, Coe sait aussi nous parler avec justesse de la vraie vie, celle des paumés, celle de ceux qui souffrent au quotidien, bref de ceux que les Winshaw considèrent comme quantité négligeable et qui subissent sans rien pouvoir y faire les effets de cette course effrénée vers le fric et le pouvoir.

 

Le vieux Mortimer, l'un des seuls membres lucides de cette famille, décrit dans son testament ce qui pousse les Winshaw dans cette course sans limites : "Quelle force pourrait pousser ces six individus, qui traitent chacun de glorieuses affaires sur la scène mondiale, à abandonner sur le champ toutes leurs obligations pour venir dans cet endroit solitaire et perdu - endroit ajouterai-je, qu'ils on trouvé si facile d'éviter lorsque j'étais encore en vie ? La réponse est simple : ils y sont poussés par la force qui a toujours, et uniquement, régné sur la conduite de leurs carrières professionnelles. Je fais bien sûr allusion à la rapacité; à la pure et simple rapacité dans toute sa brutalité... La rapacité est tellement ancrée en eux, c'est devenu tellement pour eux une façon de penser, que je sais qu'ils ne pourront pas s'empêcher de faire le voyage, ne serait-ce que pour racler le tonneau pourri du reste de mes biens."


Pour moi, Jonathan Coe est un romancier moderne qui écrit pour nous faire mieux prendre conscience de l'absurdité et de l'injustice du monde dans lequel nous vivons. C'est donc bien un écrivain qui a quelque chose à dire, quelque chose à nous dire et c'est tout son mérite.
Bravo M. COE. malheureusement l'ère Thatcher est toujours là.

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27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 18:25

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L'histoire

Rosamond vient de mourir, mais sa voix résonne encore, dans une confession enregistrée, adressée à la mystérieuse Imogen. S'appuyant sur vingt photos soigneusement choisies, elle laisse libre cours à ses souvenirs et raconte sous forme d'enregistrements magnétiques, des années quarante à aujourd'hui, l'histoire de trois générations de femmes, liées par le désir, l'enfance perdue et quelques lieux magiques. Et de son récit douloureux et intense naît une question, lancinante : y a-t-il une logique qui préside à ces existences ? (source : evene.fr)

 

Le thème

Au fil des pages nous pénétrons dans le monde feutré des chaumières britanniques, au coeur de la campagne anglaise. Dans ces maisons confortables vivent des familles sans histoire. Telles sont les apparences.

Mais derrière les masques, la réalité est tout autre.

Une vieille dame, à la fin de sa vie transmet en héritage à sa petite nièce, Imogen, qui est aveugle, l'histoire cachée de cette famille, l'histoire de trois femmes la grand'mère, la mère et la petite-fille (c'est-à-dire Imogen elle-même). Et alors le lecteur découvre stupéfait que derrière les joies médiocres du quotidien, bouillonne des pulsions instinctives et égocentriques qui font que chacun utilise ses proches comme des objets.

Ce constat dressé par Jonathan Coe le fait s'interroger sur la responsabilité de chacun dans les actes commis derrière les petites fenêtres de ces confortables chaumières. Et c'est bien là tout l'intérêt de cette saga familiale : est-on libre d'être ce qu'on n'est ? Le hasard existe-t-il ?

"Il n'y avait pas de hasard. II y avait un ordre, une cohérence : un ordre à déchiffrer..." (p. 266)

Rosamond, lorsqu'elle revient dans les paysages de son enfance éprouve un sentiment étrange : "Cela faisait au moins dix ans que je n'étais pas passée par ces chemins. Ils paraissaient absolument familiers; et en même temps, absolument inconnus et irréels. Je n'arrivais pas à concilier ces deux impressions. Je me rappelle très nettement cette sensation - cette pensée. La conscience que parfois il est possible - il est même nécessaire - d'associer des contraires; d'admettre la vérité de deux choses qui se contredisent complètement. Je commençais tout juste à le comprendre, à reconnaître que c'est là une des conditions fondamentales de notre existence. Quel âge j'avais ? Trente trois ans. Oui effectivement : on pourrait dire que je commençais à être adulte."

Cette prise de conscience s'accompagnera plus tard de la nécessite d'une transmission, d'une initiation en quelque sorte. Rosamond, on le comprend très vite dans le roman, comme beaucoup de femmes qui n'ont pas eu d'enfant est en quelque sorte une mère contrariée. Elle a un besoin impérieux de transmettre à d'autres, plus jeunes qu'elle ses propres découvertes sur la vie.

Ses dernières paroles d'outre-tombe sont destinées à sa petite nièce aveugle, Imogen.

" Il y a chez toi (Imogen) quelque chose de juste, de nécessaire. L'idée que tu aurais pu ne pas exister, que tu aurais pu ne jamais naître, me paraît si injuste, si monstrueuse et contre nature... Ca ne veut pas dire que ton existence corrige ou annule toutes ces erreurs. Elle ne justifie rien.  Ce que ça signifie - je l'ai peut-être déjà dit ? Je crois que oui, même si c'est en d'autres termes - ou plutôt que ça me fait comprendre, c'est ceci : la vie ne commence à avoir un sens, qu'ne admettant que parfois, souvent, toujours, deux idées absolument contradictoires peuvent être vraies en même temps.

Tout ce qui a abouti à toi (Imogen) était injuste. Donc tu n'aurais pas dû naître.
Mais tout chez toit est absolument juste : il fallait que tu naisses.
Tu étais inévitable."

Imogen, apprenant ces vérités sur sa famille et sur elle-même pourra-t-elle échapper à son destin ?

Quels seront les effets de cette prise de conscience imposée ?

Y a-t-il un hasard ?

J'ai aimé ce livre qui nous parle de notre monde quotidien, en Europe, en Angleterre, mais qui nous montre également comment nous fonctionnons, comment nous avançons masqués dans la vie et comment la réalité de nos vies est complexe, trouble et contradictoire.

Je ne vous avais jamais lu M. Coe et je vous dis bravo !

 

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23 octobre 2011 7 23 /10 /octobre /2011 19:13

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Le thème

Je ne fais que reprendre ici le résumé du livre tel qu'il figure dans les fiches de présentation.

Eté 1956. Michael Leidson, historien nord-américain, arrive en Espagne afin d'y faire des recherches sur la guerre civile. A sa grande surprise, il se retrouve face à des événements étranges. A la Maestranza, une grande propriété de la région, il pensait se retrouver face à un rituel vieux de vingt ans : depuis 1936, époque à laquelle le jeune héritier d'un riche domaine s'est fait assassiner par un groupe de paysans, sa famille fait rejouer chaque année la scène de son assassinat. Mais cette année, cette cérémonie expiatoire ne se déroulera pas ainsi : Michael Leidson assistera à une inhumation. Celle d'un des tueurs de la victime : l'un de ses meilleurs amis d'enfance.

Mes impressions

Un livre original et agaçant, une nébuleuse romanesque et théâtrale selon les mots de l'éditeur. A noter que le roman a été écrit par Jorge Semprun en langue espagnole. 

En tant que lecteur, Semprun a réussi à me perdre, à me décontenancer et à m'agacer. C'est peut être d'ailleurs ce qu'il a cherché à donner comme effet. Ne peuvent s'y retrouver dans un tel récit construit en forme de puzzle que ceux qui connaissent l'Espagne et son histoire récente de l'intérieur. C'est en effet de l'Espagne et de la guerre civile qu'il s'agit. La guerre civile, entre républicains et franquistes, pendant et après.

Je suis allé jusqu'au bout du récit car les personnages du roman sont attachants et l'histoire que raconte le narrateur-Jorge Semprun-Federico Sanchez-Agustín Larrea, de manière un peu cabotine et donc agaçante, rend compte de la complexité extrême de la société espagnole à l'époque du franquisme. Dans ce roman le lecteur est confronté à des incohérences permanentes entre les situations et les personnages, entre les intentions, les actes et les résultats.

Regard moderne jeté sur une société décomposée, souvent archaïque, qui cherche à se régénérer malgré les souvenirs tragiques qui transforment les vivants en caricature d'eux-mêmes et les morts en incarnation de l'impossible futur.

Je n'ai pas été totalement conquis par cette fresque bordélique où le narrateur officie "... dans le désordre, par associations d'idées, d'images ou d'instants, en revenant en arrière, en se projetant en avant..." (p. 348). Au fil des pages on découvre ou on rencontre pêle-mêle Ernest Hemingway, Domingo Dominguin, le frère du célèbre Luis Miguel, Semprun lui-même sous différents patronymes, mais aussi des vers de poètes célèbres comme Federico Garcia Lorca ou Blas de Otero, des airs de tango argentin et surtout un tableau d'où le sang ne finit jamais de couler, le "Judith et Holopherne" d'Artemisia Gentileschi exposé au musée Capodimonte de Naples, qui a marqué en son temps l'imaginaire du jeune Semprun. La question qui se pose est d'ailleurs est celle du lien entre cette toile contemplée par un des personnages du récit et le récit lui-même, l'auteur le sait-il lui même ?

"- Ce que je n'arrive toujours pas à comprendre, dit Leidson ensuite au bout d'un long et émouvant silence, c'est comment la contemplation d'une toile, qui semble si loin de tout cela, a pu servir de catalyseur, de démarrage ou de noyau au tourbillon narratif.

- Eh bien oui mon vieux, lui répondit ironiquement Larrea, il faut bien qu'il reste quelque chose de mystérieux, ce doit même être prédominant, dans un processus de création littéraire." (p. 342)

A l'évidence la réponse est dans la vie de Semprun lui-même.

 Semprun et la création littéraire

Dans le roman, quelques réflexions de l'auteur sur les mystères de la création littéraire m'ont frappé : "Bref, on ne sait jamais quand commencent vraiment les histoires. Ce qui avait effectivement commencé ici voilà plus de trente ans - c'est si vite dit - c'était la naissance possible d'un récit, plus ou moins complet, plus ou moins réussi de l'histoire de cette mort ancienne. Leidson avait rendez-vous avec Hemingway, celui-ci l'invita à se joindre à un déjeuner au restaurant El Callejon, auquel participait également Larrea (Semprun) et Dominguin, ce dernier raconta l'histoire de la cérémonie expiatoire, et tout le monde fut impressionné, à la fin Hemingway ne prononça qu'un seul mot extrêmement bref, une seule syllabe sibilante "Shit".

Ainsi donc, la naissance possible d'un récit a lieu ici : ci-gît la naissance possible d'un récit."

Plus loin Semprun s'explique sur les difficultés qu'il éprouve pour écrire un "vrai" roman :

" - A présent tu peux comprendre, expliqua-t-il à Leidson, pourquoi il est si difficile pour moi, malgré tous mes efforts, d'écrire des romans qui soient de vrais romans : car à chaque pas, à chaque page, je me heurte à la réalité de ma propre vie, de mon expérience personnelle, de mes souvenirs : pourquoi inventer des situations lorsqu'on a eu une vie aussi romanesque, dans laquelle on peut puiser la matière narrative à l'infini ? Ceci dit, le roman authentique est aussi un acte de création, un univers faux qui illumine, soutient et peut-être modifie la réalité. Il faudrait pouvoir dire à la manière de Boris Vian : dans ce livre tout est vrai puisque j'ai tout inventé. Moi aussi j'aimerais bien tout inventer..." (p.357)

La sincérité de Semprun ne peut être ici mise en doute. Il est vrai que ce roman est étonnamment autobiographique, celui qui connaît a peu près la vie de l'auteur possède indéniablement les clés du livre. C'est à la fois ce qui fait la richesse de cette création, mais aussi sa fragilité. Car l'apparente logique et les hasards d'une vie ne sont pas nécessairement le gage d'un roman réussi et bien construit.

 

Conclusion

Je n'ai pas vraiment aimé la forme, mais en lisant ce livre, j'ai l'impression d'avoir levé une partie du voile sur cette période de la guerre civile qui a divisé l'Espagne pendant plusieurs générations, et qui la divise peut-être encore, grâce à ce méli-mélo romanesque construit et déconstruit à la fois par un homme d'une grande qualité Jorge Semprun.

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16 octobre 2011 7 16 /10 /octobre /2011 21:34

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Roman de Philip Roth en trois temps, comme une dernière valse, comme un pièce de théâtre en trois actes :

1er temps - Dispersés dans l'air léger

2ème temps - La transformation

3ème temps - Le dernier acte

Trois moments de la vie d'Axler, un célèbre acteur de théâtre qui éprouve à soixante cinq ans une impossibilité à jouer en scène. Il a perdu son intuition. Pour lui, c'est le drame qui surgit du quotidien.

 1er temps - Dispersés dans l'air léger

"Il avait perdu sa magie" est la première phrase du roman. "Il s'était soudain retrouvé incapable de jouer". D'emblée le lecteur se trouve face à ce constat.

"Peu d'acteurs de théâtre savaient parler et écouter comme lui et, pourtant, il ne savait plus faire ni l'un ni l'autre. Les sons qui, auparavant, entraient dans son oreille, lui donnaient l'impression d'en sortir, et toute parole qu'il prononçait semblait jouée et non parlée. La source première de son jeu était dans ce qu'il entendait, sa réaction à ce qu'il entendait en était le coeur, et s'il ne pouvait ni écouter, ni entendre, il n'avait plus rien sur quoi s'appuyer." (p.14)

Cette situation soudaine est tragique et le pire est qu'Axler s'interroge sur la réalité de sa souffrance : est-elle authentique, ne l'est-elle pas ? Suis-je dans la réalité, suis-je dans le jeu ? Situation binaire très courante chez les personnages de Roth toujours en proie au doute.

" Etre seul le terrifiait, il ne parvenait à dormir que deux ou trois heures par nuit, il mangeait à peine, chaque jour il envisageait de se tuer avec le fusil qu'il avait dans le grenier - un fusil à pompe Remington 870 qu'il gardait dans sa ferme isolée pour se défendre le cas échéant - et tout cela demeurait malgré tout du théâtre, du mauvais théâtre. Quand on joue le rôle de quelqu'un qui craque, il y a une structure, un ordre. Quand vous vous observez vous-même en train de craquer, que vous jouez le rôle de votre propre fin, c'est tout autre chose, quelque chose qui est submergé par la peur et l'épouvante." (p.15)

Les ingrédients sont réunis : un fait soudain qui fait basculer une vie, l'impossibilité pour l'acteur de jouer un rôle sur scène et les conséquences de cette situation sur la vie de cet acteur. Et ensuite des doutes et une hésitation du personnage principal entre continuer à vivre ou se suicider.

Mais la vie continue et plusieurs événements vont se produire. Lesquels ?

Il y a d'abord la relation avec sa femme Victoria. Elle-même ancienne actrice, connaît la déchéance. Elle ne joue, elle se repose en grande partie sur Axler. Lorsque celui-ci chute à son tour, elle ne peut le supporter et s'envole pour la Californie rejoindre son fils. Axler se retrouve seul, et de nouveau il est hanté par le suicide. Mais il réagit en appelant son médecin qui l'envoie séjourner dans un hôpital psychiatrique.

Dans cet hôpital il a des entretiens avec un psychologue, il rencontre des autres patients qui ont tenté de se suicider et qui racontent leur expérience. Lui-même cherche des explications. Il n'en trouve pas. Et quand il commence a aller mieux, il ne comprend pas les raisons de cette amélioration : " c'était sans la moindre bonne raison qu'il avait perdu sa magie en tant qu'acteur, et c'est de façon tout aussi arbitraire que soin désir de mettre fin à ses jours s'était éloigné, du moins pour l'instant." (p. 24)

A l'hôpital il fait la connaissance de Sybil qui a tenté de se suicider lorsqu'elle a appris que son mari avait agressé sexuellement sa petite fille et qu'elle même n'avait rien fait pour le dénoncer. " Je n'ai rien fait de ce que j'aurais dû faire" dit-elle à Simon Axler.

Apparait ensuite Jerry Oppenheim, l'agent d'Axler. Jerry qui a plus de 80 ans essaie de convaincre Simon de remonter sur scène, il lui propose de jouer le rôle de James Tyrone au Guthrie. Simon refuse, au motif qu'il lui est impossible de jouer. Jerry insiste, lui propose même de rencontrer un médecin réputé, mais Simon ne veut rien savoir. "Jerry c'est terminé. Je n'arrive plus à rendre une pièce réelle pour les spectateurs. Je n'arrive plus à rendre un rôle réel pour moi."

A la fin de cette première partie Simon reçoit une lettre de Sybil l'ex-pensionnaire d' l'hôpital. Il se rappelle que cette femme lui avait demander de tuer le monstre qu'était son mari. Elle-même n'avait pu se suicider, Simon non plus. Si l'on est incapable de tuer des monstres comment arriver à se tuer soi-même.

Roth clôt cette première partie en rappelant au lecteur le choix qui se pose à Simon, : être ou ne pas être, continuer à vivre comme une larve ou se faire disparaître  ?

 2ème temps - La transformation

Axler, installé à la campagne, se voit comme un homme fini " il en avait bel et bien fini avec le métier d'acteur, les femmes, les rapports humains, fini à jamais avec le bonheur." (p. 46)

Roth reprend le thème qui hante son personnage : "Une fois de plus, le suicide était son point de mire, dépossédé de tout, il ne voyait pas d'autre issue." (p. 47)

Débarque alors dans sa vie Pegeen, la fille de deux de ses anciens amis acteurs. Elle a maintenant quarante ans. Roth nous raconte l'histoire de cette fille qui est lesbienne. Sa première partenaire Priscilla, avec qui elle vécut en couple pendant plusieurs années, décide un jour de se transformer en homme, elle ne supporte plus son corps. Pegeen la quitte immédiatement.

Elle rencontre une autre femme, directrice du département dans lequel elle travaille et établit avec elle une relation sexuelle. Puis, un jour Pegeen décide d'avoir une relation avec un homme et elle se rend chez l'ami de la famille Simon Axler, qui a aujourd'hui soixante cinq ans. La présence de Pegeen génère un déclic chez Simon : "Très vite il perdit le sentiment qu'il était seul sur terre, dépouillé de son talent. Il était heureux : sentiment inattendu." (p. 53) Ils font l'amour. La partenaire féminine de Pegeen se sent humilié et développe un comportement de haine et de folie furieuse. Elle cherche a faire revenir Pegeen par tous les moyens. Peu à peu Pegeen change d'allure et de comportement, elle se transforme en femme objet de désir d'un homme.

Simon reste néanmoins lucide, il doute en permanence et demande à Pegeen si la vie qu'ils vivent est bien ce qu'elle veut, si elle sait ce qu'elle fait. Celle-ci répond : "Oui, je le sais. J'aime ça... et je ne veux pas que ça s'arrête."

Axler, sait parfaitement qu'il court un risque, mais il décide de jouer le rôle jusqu'au bout : "Mais un jour viendra, pensa Axler, où les circonstances la placeront en position de force pour mettre un terme à la situation, alors que je me retrouverai en situation de faiblesse pour n'avoir pas eu la fermeté de rompre maintenant. Et quand elle sera forte et que je serai faible, le coup qui me sera porté sera insoutenable. Il était persuadé qu'il voyait clair dans leur avenir, et pourtant il ne pouvait rien faire pour changer les perspectives. Il était trop heureux pour opérer le moindre changement." (p. 61)

Axler sait où cette aventure va le conduire, mais il prend le risque, histoire de vivre quelques moments de bonheur en plus. Mieux vaut cela que le néant.

Viennent alors les pressions extérieures, celles exercées par Priscilla, celle exercées par les parents de Pegeen. Simon ne cherche pas à influencer Pegeen. Celle-ci continue à vouloir leur relation. Les pages où Roth relate les arguments des parents de Pegeen pour préserver leur fille de cette relation avec leur vieil ami, qui a été récemment interné dans un hôpital psychiatrique sont savoureuses.

 3ème temps - Le dernier acte

Parallèlement, la relation évolue sur le plan sexuel, Pegeen et Simon font des expériences que Roth décrit avec maints détails : utilisation de sex-toys, triolisme etc. On sait que chez Roth l'homme se révèle à lui-même par son désir. Mais ici la recherche du plaisir sexuel est en quelque sorte un chant du cygne. Pegeen cultive de son côté à nouveau des relations homosexuelles. Ses parents exercent à nouveau une forte pression, Simon rencontre le père de Pegeen.

Entre temps, il apprend que Sybil a tué son mari d'un coup de fusil de chasse, ce qui pour lui signifie qu'elle a eu le courage de tuer. C'est pour lui un signe qu'il garde au fond de lui.

Soudain Axler se met à imaginer que Pegeen veut un enfant de lui. "Il voulait obliger sa propre témérité à rentrer dans un cadre domestique." Dans la foulée il imagine qu'il pourra reprendre sa vie d'acteur et jouer le rôle de James Power au Guthrie. Il se prend au jeu et tente des démarches dans un hôpital.

Attendant Pegeen pour lui révéler sa démarche, il accueille une femme distante et réticente... Il réfléchit et comprend qu'il n'a fait que s'enfoncer un peu plus dans un monde qu'il avait créé de toutes pièces.

Lorsque Pegeen lui annonce "C'est fini", tout s'effondre. "Je ne veux plus servir de palliatif à tes problèmes de carrière" lui lance-telle.

Axler panique, il cherche les causes possibles de cet abandon : Tracy, une fille de rencontre qui a séduit Pegeen, Asa et Carol, les parents de Pegeen... Tout ce qu'il a imaginé reconstruire se délite en un instant, alors réapparaît le thème du suicide et la référence à Sybil : "Oui, se dit-il, si elle est arrivée à trouver en elle les ressources pour faire quelque chose d'aussi terrible au mari qui était son démon, je devrais au moins être capable de m'infliger ça à moi-même." (p. 121)

Je ne dévoilerai pas la fin de l'histoire : Axler jouera t-il un rôle ou sera-t-il lui même un homme submergé par la peur et l'épouvante ?

J'ai bien aimé ce roman qui a pour thème à la fois la vieillesse et la mort. Quand le désir ne fut qu'une dernière illusion, faut-il jouer son dernier rôle pour transformer sa vie ?

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8 septembre 2011 4 08 /09 /septembre /2011 18:28
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Avertissement :  
Certains passages du commentaire ci-dessous sont proches de l'article écrit dans mon blog "Contrastes et Lumière", mais ils expriment la réalité de mes impressions de lecture sous un angle un peu décalé plus axé sur la lente progression du tragique dans le roman de Lobo Antunes.
Contexte :
A Lisbonne, une nuit, dans un bar un homme parle à une femme. Ils boivent et l'homme raconte un cauchemar horrible et destructeur : son séjour comme médecin en Angola, au fond de ce " cul de Judas ", trou pourri, cerné par une guerre sale et oubliée du monde. Un humour terrible sous-tend cet immense monologue qui parle aussi d'un autre front : les relations de cet homme avec les femmes.
Au départ, je retrouve les mêmes sensations que lors de mes précédentes tentatives de lecture de livres de Lobo Antunes, réputés     difficiles d'accès. Je suis par goût personnel peu disposé à me confronter à une écriture faite d'emphase, de métaphores multiples, d'associations d'idées improbables, de ruptures dans la continuité du récit, de phrases d'une longueur labyrinthique et à une jonglerie incessante et tourbillonnante dans l'espace et le temps, des époques, des situations et des lieux.
   
Toutefois, au fil des pages, vraisemblablement attiré par le contexte de l'Afrique, continent pour lequel j'éprouve un réelle passion, le lecteur réticent que j'étais au tout début du roman ne peut s'empêcher d'être peu à peu emporté par le courant de ce fleuve rugissant d'ironie et de flamboyance, fuyant dans des tourbillons sans fins, chutant dans des cascades explosives et insondables. Bientôt même, naît en moi une réelle jubilation devant ce carnaval abracacabrantesque de métaphores surprenantes, d'allégories saisissantes, d'associations d'idées voltigeantes, qui donnent un ton sarcastique,  souvent satirique et puissant au roman.
J'observe également que ce bouillonnement du style masque en réalité une grande pudeur. Plus j'avance dans ma lecture, plus j'ai la sensation de découvrir la face cachée de ce roman, la condamnation implacable d'une guerre sale ordonnée par " les seigneurs de la guerre de Lisbonne, ceux qui dans la caserne du Carmo chiaient dans leur culotte et pleuraient honteusement, dans une panique vertigineuse, le jour de leur misérable défaite, devant la mer triomphale du peuple..." (p. 180)*. Guerre qui aboutit à la destruction systématique des populations et à la mort violente de militaires, à l'amputation de leurs corps, à l'anéantissement de leurs espoirs en une vie future.
Peu à peu le ton devient plus dur, le médecin militaire crache sa révolte intérieure : "Debout devant la porte de la salle d'opérations, les chiens de la caserne en train de flairer mes vêtements, assoiffés du sang de mes camarades blessés en taches sombres sur mes pantalons, ma chemise, les poils clairs de mes bras; je haïssais, Sofia, ceux qui nous mentaient et nous opprimaient, nous humiliaient et nous tuaient en Angola, les messieurs sérieux et dignes qui, de Lisbonne, nous poignardaient en Angola, le spoliticiens, les magistrats, les policiers, les bouffons, les évêques, ceux qui au son d'hymnes et de discours nous poussaient vers les navires de la guerre et nous envoyaient en Afrique, nous envoyaient mourir en Afrique, et tissaient autour de nous de sinistres mélopées de vampires." (p. 165)
Dans sa description de la guerre coloniale et de la révolte toute intérieure de son personnage principal, Lobo Antunes excelle, son style devient alors une arme foudroyante qui balaie tout sur son passage. Le voile se lève progressivement sur la réalité toute nue de la guerre. Tous les discours de circonstance sur le patriotisme, sur le courage des vainqueurs, sur l'héroïsme et sur la défense de la patrie menacée, sont chassés d'un coup de pied rageur par ceux qui ne demandaient rien que de vivre en paix et qu'on a condamné à l'autodestruction et au meurtre pour le service des intérêts de la classe politique fasciste au pouvoir à Lisbonne et de quelques riches familles.
Mais voilà, la révolte reste intérieure et gratuite, par lassitude, par crainte, par lâcheté ? Lâcheté, le mot terrible est laché. Arrive alors la pire des sensations, celle du mépris de soi, la destruction définitive du vivant que l'on porte en soi comme une flamme précieuse. L'émergence de ce mépris de soi constitue le point culminant du roman:
" Non, écoutez-moi, je n'ironise qu'en partie, surtout pour dissilmuler l'humiliation de mon échec et la désillusion qui traverse légèrement votre silence, comme les ombres qui croisent de temps en temps, le sourire gai de ma plus jeune fille et qui me touchent au fond des entrailles, comme la goutte d'acide d'un remords ou d'un doute, je voudrais désespérément être un autre, vous savez, quelqu'un qu'on pourrait aimer sans honte et dont mes frères seraient fiers, dont je serai fier moi-même en me regardant dans le miroir du coiffeur ou du tailleur, le sourire content, les cheveux blonds, le dos droit, les muscles apparents sous les vêtements, le sens de l'humour à toute épreuve et l'in telligence pratique." (p. 184)
On retrouve dans cette phrase un exemple typique du style de l'auteur et des émotions qu'il sait nous transmettre : l'expression d'une vérité tragique et une pirouette finale, ironique, qui révèle le fossé infranchissable creusé par la guerre entre un mal d'être ancré dans les profondeurs intimes de ceux "qui y étaient" et la vie "normale" d'un jeune homme portugais qui soigne son apparence pour mieux séduire, dans une société sans risques où l'aventure ultime au quotidien rime avec le flirt.
   
 A la fin du roman la métamorphose entre le civil et le combattant forcé qui n'a rien compris de ce qui lui est arrivé, s'est opérée dans des souffrances muettes jusqu'à une mort intérieure, le jeune médecin portugais est devenu : "une créature vieillie et cynique qui rit d'elle-même et des autres du rire envieux, aigre, cruel des défunts, le rire sadique et muet des défunts, le rire répugnant et gras des défunts, et en traine de pourrir de l'intérieur, à la lumière du whisky, comme pourissent les photos dans les albums, péniblement, en se dissolvant lentement dans une confusion de moustaches." (p. 171)
En définitive, j'ai aimé ce livre, parce qu'il est universel. Il concerne également tous ces jeunes appelés partis en Algérie ou ces GI's expédiés au Vietnam et qui n'ont jamais pu oublier les marques indélébiles des guerres sales.
 
Après le combat initial entre l'expression de la singularité de l'auteur et mes habitudes de lecteur, j'ai succombé au talent de Lobo Antunes. J'ai eu à faire un effort, j'ai du sortir de mon confort de lecteur, parcourir un bout de chemin en direction d'un univers riches de multiples vérités jusqu'alors cachées ou méconnues. Et je ne le regrette pas. C'est cela aussi le plaisir de la littérature.
Merci M. Antunes et à bientôt j'espère !
   
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" Les gens courageux n'existent pas, il y a seulement ceux qui acceptent de marcher coude à coude avec leur peur."
Luis Sepulveda, " L'ombre de ce que nous avons été ", Métailié editeur, p. 148

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