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23 octobre 2011 7 23 /10 /octobre /2011 19:13

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Le thème

Je ne fais que reprendre ici le résumé du livre tel qu'il figure dans les fiches de présentation.

Eté 1956. Michael Leidson, historien nord-américain, arrive en Espagne afin d'y faire des recherches sur la guerre civile. A sa grande surprise, il se retrouve face à des événements étranges. A la Maestranza, une grande propriété de la région, il pensait se retrouver face à un rituel vieux de vingt ans : depuis 1936, époque à laquelle le jeune héritier d'un riche domaine s'est fait assassiner par un groupe de paysans, sa famille fait rejouer chaque année la scène de son assassinat. Mais cette année, cette cérémonie expiatoire ne se déroulera pas ainsi : Michael Leidson assistera à une inhumation. Celle d'un des tueurs de la victime : l'un de ses meilleurs amis d'enfance.

Mes impressions

Un livre original et agaçant, une nébuleuse romanesque et théâtrale selon les mots de l'éditeur. A noter que le roman a été écrit par Jorge Semprun en langue espagnole. 

En tant que lecteur, Semprun a réussi à me perdre, à me décontenancer et à m'agacer. C'est peut être d'ailleurs ce qu'il a cherché à donner comme effet. Ne peuvent s'y retrouver dans un tel récit construit en forme de puzzle que ceux qui connaissent l'Espagne et son histoire récente de l'intérieur. C'est en effet de l'Espagne et de la guerre civile qu'il s'agit. La guerre civile, entre républicains et franquistes, pendant et après.

Je suis allé jusqu'au bout du récit car les personnages du roman sont attachants et l'histoire que raconte le narrateur-Jorge Semprun-Federico Sanchez-Agustín Larrea, de manière un peu cabotine et donc agaçante, rend compte de la complexité extrême de la société espagnole à l'époque du franquisme. Dans ce roman le lecteur est confronté à des incohérences permanentes entre les situations et les personnages, entre les intentions, les actes et les résultats.

Regard moderne jeté sur une société décomposée, souvent archaïque, qui cherche à se régénérer malgré les souvenirs tragiques qui transforment les vivants en caricature d'eux-mêmes et les morts en incarnation de l'impossible futur.

Je n'ai pas été totalement conquis par cette fresque bordélique où le narrateur officie "... dans le désordre, par associations d'idées, d'images ou d'instants, en revenant en arrière, en se projetant en avant..." (p. 348). Au fil des pages on découvre ou on rencontre pêle-mêle Ernest Hemingway, Domingo Dominguin, le frère du célèbre Luis Miguel, Semprun lui-même sous différents patronymes, mais aussi des vers de poètes célèbres comme Federico Garcia Lorca ou Blas de Otero, des airs de tango argentin et surtout un tableau d'où le sang ne finit jamais de couler, le "Judith et Holopherne" d'Artemisia Gentileschi exposé au musée Capodimonte de Naples, qui a marqué en son temps l'imaginaire du jeune Semprun. La question qui se pose est d'ailleurs est celle du lien entre cette toile contemplée par un des personnages du récit et le récit lui-même, l'auteur le sait-il lui même ?

"- Ce que je n'arrive toujours pas à comprendre, dit Leidson ensuite au bout d'un long et émouvant silence, c'est comment la contemplation d'une toile, qui semble si loin de tout cela, a pu servir de catalyseur, de démarrage ou de noyau au tourbillon narratif.

- Eh bien oui mon vieux, lui répondit ironiquement Larrea, il faut bien qu'il reste quelque chose de mystérieux, ce doit même être prédominant, dans un processus de création littéraire." (p. 342)

A l'évidence la réponse est dans la vie de Semprun lui-même.

 Semprun et la création littéraire

Dans le roman, quelques réflexions de l'auteur sur les mystères de la création littéraire m'ont frappé : "Bref, on ne sait jamais quand commencent vraiment les histoires. Ce qui avait effectivement commencé ici voilà plus de trente ans - c'est si vite dit - c'était la naissance possible d'un récit, plus ou moins complet, plus ou moins réussi de l'histoire de cette mort ancienne. Leidson avait rendez-vous avec Hemingway, celui-ci l'invita à se joindre à un déjeuner au restaurant El Callejon, auquel participait également Larrea (Semprun) et Dominguin, ce dernier raconta l'histoire de la cérémonie expiatoire, et tout le monde fut impressionné, à la fin Hemingway ne prononça qu'un seul mot extrêmement bref, une seule syllabe sibilante "Shit".

Ainsi donc, la naissance possible d'un récit a lieu ici : ci-gît la naissance possible d'un récit."

Plus loin Semprun s'explique sur les difficultés qu'il éprouve pour écrire un "vrai" roman :

" - A présent tu peux comprendre, expliqua-t-il à Leidson, pourquoi il est si difficile pour moi, malgré tous mes efforts, d'écrire des romans qui soient de vrais romans : car à chaque pas, à chaque page, je me heurte à la réalité de ma propre vie, de mon expérience personnelle, de mes souvenirs : pourquoi inventer des situations lorsqu'on a eu une vie aussi romanesque, dans laquelle on peut puiser la matière narrative à l'infini ? Ceci dit, le roman authentique est aussi un acte de création, un univers faux qui illumine, soutient et peut-être modifie la réalité. Il faudrait pouvoir dire à la manière de Boris Vian : dans ce livre tout est vrai puisque j'ai tout inventé. Moi aussi j'aimerais bien tout inventer..." (p.357)

La sincérité de Semprun ne peut être ici mise en doute. Il est vrai que ce roman est étonnamment autobiographique, celui qui connaît a peu près la vie de l'auteur possède indéniablement les clés du livre. C'est à la fois ce qui fait la richesse de cette création, mais aussi sa fragilité. Car l'apparente logique et les hasards d'une vie ne sont pas nécessairement le gage d'un roman réussi et bien construit.

 

Conclusion

Je n'ai pas vraiment aimé la forme, mais en lisant ce livre, j'ai l'impression d'avoir levé une partie du voile sur cette période de la guerre civile qui a divisé l'Espagne pendant plusieurs générations, et qui la divise peut-être encore, grâce à ce méli-mélo romanesque construit et déconstruit à la fois par un homme d'une grande qualité Jorge Semprun.

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commentaires

P
Une analyse complète et très honnête, tu donnes du sens à un livre difficile.
Répondre
G
<br /> <br /> J'ai à mon programme "L'écriture ou la vie", on m'en a dit beaucoup de bien.!<br /> <br /> <br /> <br />

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Luis Sepulveda, " L'ombre de ce que nous avons été ", Métailié editeur, p. 148

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