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14 janvier 2010 4 14 /01 /janvier /2010 01:00

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Première lecture : au bout d’une vingtaine de pages je suis déconcerté. Je pose le livre et je fais autre chose. Impossible de me mobiliser pour continuer cette lecture. J’ai l’impression que mon esprit refuse d’accepter ce que Rulfo propose à son lecteur. C’est-à-dire une gymnastique permanente entre des personnages dont certains sont vivants et d’autres sont morts, mais qui parlent entre eux. J’abandonne.

 

Seconde lecture : quelques jours s’écoulent et je me dis, comme pour « Le rivage des Syrtes », que je ne peux pas me satisfaire de cette situation. Ce roman est considéré comme un chef-d’œuvre par la critique contemporaine, certains écrivains hispanisants considèrent même que ce livre a changé quelque chose dans leur vie. (Enquête d’El Pais).

Certes je ne suis pas hispanisant, je connais très peu les pays d’Amérique centrale et d’Amérique du sud, leur culture m’est étrangère, donc il se peut que les conditions ne soient pas réunies pour que j’apprécie ce livre à sa juste valeur. Toutefois ce n’est pas une raison pour renoncer à la lecture intégrale de « Pedro Paramo ».

Je décide donc de reprendre le livre à la première page et de le lire d’un trait en quelques heures.

Après une trentaine de pages, je m’aperçois que c’est gagné, la magie de la lecture s’opère. Peu à peu j’entre en symbiose avec l’écriture. Ce qui me paraissait totalement absurde nagère, m’apparaît aujourd’hui comme une évidence.

Il suffit simplement d’entrer en sympathie avec l’architecture et la démarche romanesque de Juan Rulfo. En fait il s’agit d’une convention tacite entre l'auteur et son lecteur.

 

Le livre décrit le voyage du fils, Juan Précido, en quête de son père, Pedro Paramo, après la mort de sa mère. Il révèle au jeune homme la vie et l’histoire de sa famille et des habitants d’une région du Mexique, plus précisément du domaine de Media Luna et des villages qui l’entourent.

L’originalité de Rulfo est qu’il construit un monde où les morts et les vivants se côtoient et parlent avec le narrateur.

Rulfo nous prévient subtilement que nous pénétrons dans un univers particulier.

« J’avais l’impression de tout voir à travers les souvenirs de ma mère… Sa voix était assourdie, presque éteinte, comme si elle parlait pour elle seule. » (p. 10)

Quelques lignes plus loin : « J’ai de nouveau entendu la voix de celui qui avançait là, à côté de moi. »

Le bourriquier qui accompagne un temps le fils pour lui montrer le chemin de Comala évoque de manière énigmatique la contrée dans laquelle a vécu son père, Pedro Paramo : « Là-bas on est sur le brasier de la terre. Dans la gueule de l’enfer. Quand je vous aurais dit que la plupart de ceux qui y meurent, une fois arrivés dans le feu éternel, en reviennent pour prendre leur cape… » (page 12)

Plus loin, la particularité de ce monde se précise : « Au débouché d’une rue, je me suis arrêté, quand j’ai vu une dame enveloppée dans son châle disparaître comme si elle n’était pas de ce monde. » (page 15)

Le fils abandonne très vite son scepticisme premier, il comprend ainsi ce que sa mère lui a dit sur son lit de mort : « La-bas, tu m’entendras mieux. Je serai plus près de toi. Tu trouveras la voix de mes souvenirs plus proche que celle de ma mort, si la mort a jamais eu une voix. »

Le fils, Juan Précido, exprime alors son doute : « J’aurais aimé lui dire (à sa mère) : « Tu t’es trompé d’adresse. Tu m’as donné une fausse indication. Tu m’as envoyé là où nul ne trouve son chemin. Dans un village abandonné. Pour chercher quelqu’un qui n’est plus. »

En fait, il suit les conseils de sa mère et il découvre peu à peu des personnages qui ont bien connu sa mère, son père et qui lui racontent l’histoire de la Media Luna, des villages et de leurs habitants. Ces personnages sont morts. Néanmoins, ils ont une vie. La vie qui est nécessaire pour qu’ils apportent au fils leur témoignage.

La magie s’opère. Il rencontre une vieille femme, une ancienne amie de sa mère qui lui raconte que cette dernière l’a avertie ce matin même que son fils allait venir. Or, il sait très bien que sa mère est morte il y a plusieurs semaines.

Juan a alors cette réflexion, qui est la clé du livre : « J’ai cru que cette femme était folle, puis-je n’ai plus rien cru. Je me suis senti dans un monde lointain et me suis laissé emporter. »

C’est exactement la démarche que nous demande de faire Rulfo pour entrer dans son univers romanesque.

Soudain, les villages et les personnages s’animent. On découvre trois générations de Paramo : Lucas le grand-père, Pedro, le père, et Miguel, le fils, qui meurt prématurément.

Rulfo nous dépeint un monde rural féodal où dominent celui qui possède les terres et celui qui détient le pouvoir religieux, même s'il est lâche et servile. Vol des terres, droit de cuissage, meurtres des récalcitrants, tout y passe. Cela conduira à la révolution de Pancho Villa. Dans son récit qui porte sur la vie de trois générations de Paramo, Rulfo crée la dimension spatio-temporelle qui convient à sa propre imagination et il nous l’offre en partage. La référence au surréalisme semble évidente. Notre champ de vision habituel change. Au delà de notre regard rationnel, c'est la puissance de notre imagination qui est sollicitée. C’est là qu’est la grande originalité de ce livre. Mais encore faut-il que le lecteur joue le jeu. Il ne doit pas être passif, mais actif, c’est-à-dire créatif. En lisant, il crée de toutes pièces ce monde imaginaire déjà construit par Rulfo pour lui-même.

Si cette vision partagée n’apparaît pas dans le cours de la lecture, on passe à côté du livre.
Ce n’est pas grave, c’est le risque encouru par l’auteur.

 

En partant à la quête du père dans un monde inconnu de lui, à l'initiative de sa mère, le fils accomplit un voyage initiatique qui peu à peu lui permet de découvrir les clés d’un pays, d’une culture, de ses croyances, religieuses ou non, les motifs profonds d'une révolution, mais aussi la façon dont les hommes vivent et ont vécu entre eux. Ce monde imaginaire qu’il découvre, lui livrera l’âme du Mexique.¨
Peut-être faut-il préciser enfin que ce roman est considéré aujourd'hui par les écrivains d'Amérique latine, comme une oeuvre majeure du XXème siècle. L'univers du récit, le style, la part faite au surnaturel font penser à Borgès, à Garcia-Marquez et à bien d'autres.

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1 janvier 2010 5 01 /01 /janvier /2010 13:35

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Je ne dirai pas qu'il s'agit d'un grand livre. Mais il s'agit d'un livre qui laisse des traces. Par le thème qu'il traite et par l'écriture et les partis pris de l'auteur. Un monde dévasté et couvert de cendres après un cataclysme planétaire, d'origine humaine vraisemblablement, mais rien de clair n'est dit à ce sujet.
Parmi les rescapés qui errent à la recherche de nourriture et d'espoir, un homme dont on ne connaîtra jamais l'identité et son fils. Comme les SDF de notre société actuelle, ils errent sur la route, font des bivouacs autour de feux bien maigres et remplissent un caddie (quel symbole !) avec tout ce qu'il trouvent sur leur chemin et qui peut leur être utile.
Pendant des jours et des jours, ils suivent la route qui les conduit en direction du sud, jusqu'à la mer qui représente l'espoir. Mais lorsqu'ils atteignent la côte, ils sont confrontés à une mer d'encre et à un ciel gris. Par-ci, par-là une épave contenant des vivres et des outils, mais rien qui ne vienne transformer leur vie qui les conduit à la mort inéluctable. C'est ce que l'on comprend et ce qui arrive à l'homme.
Evidemment on pense à tous les livres décrivant l'après d'un cataclysme ou de l'explosion d'une bombe nucléaire et en particulier à "Malevil" de Robert Merle ou à "Ravage" de Barjavel. On pense aussi à tous les écrivains quit on placé leur héros sur une île déserte ou dans des contrées inconnues et qui redéciouvrent les relations entre l'homme et la nature qui l'entoure.
Mais le livre de Mac Carthy nous émeut particulièrement parce qu'il s'agit de la relation entre un homme et son fils. Entre un homme "d'avant" et un homme "du futur". On ne connaît pas la part prise par le père dans les événements qui sont arrivés, on sait seulement qu'il cherche à protéger son enfant contre les hommes mauvais qu'ils peuvent rencontrer. Mais eux-mêmes confrontés à d'autres pauvres bougres errants sont appelés à jouer les méchants, "struggle for life". Tout au moins le père, qui incarne l'homme avec ce qu'il a de bon mais aussi de mauvais en lui. L'enfant est innocent, il désapprouve les comportements agressifs de son père, mais il ne peut faire autrement que de le laisser agir. Parfois l'innocent amène son père à revenir sur certains actes, mais il est trop tard. On l'aura compris le ton du livre est lourdement pessimiste, seule l'innocence de l'enfant nous laisse entrevoir une petite flamme d'espoir.

Au plan littéraire, si l'on met de côté les pertes inhérentes à toute traduction (et même si celle-ci est remarquable), on observe que Mac Carthy utilise une architecture littéraire assez particulière : des phrases regroupées en paragraphes assez courts qui semblent rythmés par la respiration des personnages, l'intégration de dialogues très brefs entre l'homme et son fils et un style dépouillé sans fioritures parsemé de conjonctions.
Dans les dialogues entre père et fils on retrouve souvent les mêmes mots, qui fonctionnent comme une mécanique : "oui", "non", "d'accord", "j'ai froid", "j'ai faim"... Tout se passe comme s'ils avaient perdu le sens de la parole pour retrouver une sorte de langage primitif servant à exprimer des sensations simples, des désirs basiques.

Bref, comme l'homme et son fils nous errons sur la route dans un monde sans espoir où les seuls besoins des hommes consistent à manger, dormir et à se protéger du froid et des prédateurs.
C'est un retour aux origines, mais sans devenir cette fois-ci. Nous sommes dans la société du caddie vide que  nous trimbalons avec nous à la recherche de moyens de survie dans un monde sans âme, éteint, comme une planète morte.

Je me suis refusé de voir le film, qui parait-il est assez réussi, avant de lire le livre. Je préfère laisser libre cours à mon imagination. Ensuite je confronterai ma vision propre à celle du réalisateur.

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5 décembre 2009 6 05 /12 /décembre /2009 19:12



Le titre de ce livre aurait pu être : "le vieil homme qui lisait les romans d’amour". Comment de pas penser alors au Vieil homme et la mer d’Hemingway.

Mais le roman ici est d’une autre nature.

Le « vieux » est un terme peu respectueux qui désigne ici celui qui n’est plus bon à rien qui n’a plus d’utilité sociale selon les critères sociaux dominants. Cette vision est incarnée par le maire dit la Limace, homme opportuniste, grossier, à la recherche du pouvoir et homme instruit, mais détenteur d’une culture qui s’apprend sur les bancs de l’école, qui s’étale, qui ne prend pas ses racines dans la vie et dans le monde qui nous entoure. Symbole du pouvoir, du gouvernement il méprise le vieux, jusqu’au moment où il se rend compte que son expérience de la forêt et des animaux peut lui être utile.

Le vieux quant à lui n’est pas dupe, le gros ne l’impressionne pas et il sait le remettre à sa place quand il faut. Le vieux a sinon le vrai pouvoir, du moins la connaissance qui lui permet de maîtriser certaines situations dangereuses.

Mais ce qui fait sa force et sa grandeur, c’est sa passion pour les romans d’amour. Bien entendu ce n’est pas un littéraire, il lit avec difficulté, mais les livres le font rêver. Et après tout, lorsqu’on vit au bord du fleuve, lorsqu’on vit à proximityé de la forêt amazonienne, vaut-il mieux « connaître Venise » comme semble la connaître la Limace ou  plutôt « l’imaginer » avec ses canaux, ses gondoles et ses amoureux qui s’embrassent avec ardeur, alors même qu’on ne sait pas ce que c’est qu’une gondole et qu’on se demande comment une ville peut être construire sur de l’eau ?

Ce livre est une réflexion sur la vie, sur l’homme, sur les valeurs, sur la culture, sur la nature.

Ainsi, on découvre que la relation entre l’homme et l’animal, mais pas n’importe quel animal, le félin à l’instinct puissant, à l’allure majesteueuse est mille fois plus dense, plus riche, plus noble que les querelles mesquines ou barbares entre des hommes qui ont perdu leur vraie nature et qui s’avilissent à rechercher de l’or ou à dévaster la forêt et ceux qui l’habitent pour satisfaire leur cupidité. A cet égard ce roman est profondément enraciné dans la réalité des pays du fleuve et des peuples de la grande forêt.

Le vieux, qui a été à l’école des indiens Shuar, sait distinguer entre les choses, les actes, les intentions. C’est un sage. Il a compris que dans ce monde ce qui importe c’est sa propre expérience forgée par les épreuves, les essais et les erreurs et c’est aussi les livres qui sont porteur d’une part de rêve et qui aident à vivre. La vraie vie d’un côté, dure, sans concession où la moindre erreur peut être fatale et de l’autre la poésie, l’amour, l’imaginaire.

Ce roman, court, est remarquablement bien écrit, et bien traduit.

C’est l’antithèse d’un roman d’aventure. C’est un livre qui nous parle de la vraie vie, celle qu’a connue le vieux, celle qui lui a donné son savoir, mais celle qui peu à peu disparaît comme disparaissent les indiens, comme disparaît la forêt équatoriale. La dernière phrase résume à merveille ce merveilleux roman :

« Antonio José Bolivar ôta son dentier, le rangea dans on mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, les chercheurs d’or, toux ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d’un coup de machette, s’appuya  et prit la direction d’El Idilio, de sa cabane, de ses romans qui parlaient d’amour, avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient la barbarie des hommes. »

Que dire après cela ?

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3 décembre 2009 4 03 /12 /décembre /2009 17:20


Philip ROTH

J'ai beaucoup aimé ce livre. D'une part, parce qu'il nous parle d'écrivains, de livres, de littérature, d'autre part, parce qu'il traite de l'émergence du désir chez un homme malade et presque en fin de vie.
Le fait que la plupart des personnages du livre soient des écrivains, jeunes , vieux,  morts ou vivants, hommes ou femmes, donne à ce roman un air de liberté, de folie, de créativité. Ce monde est d'autant plus présent et séduisant qu'il navique sur les fonds ténébreux d'un pouvoir républicain qui distille mensonge sur mensonge pour convaincre les électeurs qu'il faut anéantir les forces du mal au nom de Dieu et des Etats-Unis. La sentence prononcée par Roth à l'encontre de GW Bush et de ses acolytes est sans appel. Elle exprime le sentiment profond de l'Amérique que j'apprécie.

Le désir, même chez un homme de plus de soixante-dix ans, même si cet homme est impuissant à la suite d'une opération de la prostate, le désir est bien là. Déraisonnable, mais intact. La fascination amoureuse qui s'empare du vieil homme lorsqu'il renontre Jamie une jeunne femme de 30 ans est irrésistible. Elle a été rendue possible parce que le vieil écrivain exilé en Nouvelle Angleterre, revient à New York, la mégalopole où tout redevient possible, du moins en apparence. A New York, Nathan retrouve la vie. Mais peut-il encore vivre une vraie vie ?
Il fait des rencontres qui bousculent ses habitudes et qui le révèle à nouveau à lui-même dans dans son appétit de vie, mais aussi dans toute sa vulnérabilité. Ce retour temporaire à la vie est l'expression d'un désir, verrouillé depuis onze ans, pour une raison plus ou moins crédible. Soudain il explose, mais le corps ne répond plus. Reste la séduction intellectuelle, le prestige de l'écrivain, qui enseignait jadis à Harvard à des jeunes étudiantes admiratives.
Dans la réalité, le désir est là, latent, sous-jacent, mais il s'exprime pleinement dans l'écriture qui transforme le réel en un monde imaginaire créé par l'écrivain. L'écriture a le pouvoir extraordinaire de rendre possible l'inimaginable, l'improbable, l'impossible. Le vieillard incontinent peut séduire une jeune femme de 30 ans et celle-ci peut succomber, l'espace d'un court instant.

Mais l'écriture peut aussi être un instrument au service d'écrivains sans scrupules, un biographe par exemple, peut aussi faire oeuvre de mort et tuer à jamais l'art d'un écrivain disparu, en révélant ce qui a toujours té cahé. C'est ce
qui révolte Nathan et Amy, la vieille amante , atteinte d'une tumeur au cerveau, de Lonoff, un écrivain qui eut son heure de gloire et que Nathan reconnaît comme son maître. Roth semble régler ses comptes avec les écrivaillons biographes.

Nathan Zuckerman, le personnage fétiche de Roth, loin de sa retraite au coeur de la forêt de Nouvelle Angleterre, ne maîtrise plus rien lorsqu'il réapparait dans un monde nouveau où les gens parlent en permanence dans des télephones portables en pleine rue, dans les restaurants, dans les boutiques, dans leur voiture. Ce monde totalement ridicule le dépasse. Son désir n'est que fantasme, il capitule, il s'en va, pour de bon.

p.170 : "Mais le lot de douleur qui nous est imparti n'est-il pas en soi assez insupportable pour n'avoir pas à l'amplifier par la fiction, pour n'avoir pas à donner aux choses une intensité qui, dans la vie, est éphémère et parfois même non perçue ? Pour certains d'entre nous, non. Pour quelques très, très rares personnes, cette amplification, qui se développe de façon hasardeuse à partir de rien, constitue leur seule assise solide, et le non-vécu, l'hypothétique, exposé en détail sur le papier, est la forme de vie dont le sens envient à compter plus que tout."

Excellent livre. A lire d'une seule traite !

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 10:22

J'ai fait beaucoup d'efforts, mais je m'arrête à la page 98. Ca ne se fait pas, mais je n'arrive pas à ressentir le moindre intérêt pour ce livre.
J'ai l'impression de naviguer dans un monde de détails sur lequel l'auteur pose son regard.
Qu'on en juge par l'intitulé des chapitres, au hasard : La pelle perdue, Quand il fait froid je ne peux pas regarder dans l'eau, la tache de vin, le jeu des guêpes, le pot de chambe, les ongles poussent...
Le dernier chapitre a pour titre oh malice ! "Ca fait rien".
Bon, j'ai quand même un peu mauvaise conscience, un prix Nobel tout de même !
Alors je cite deux extraits :
" Il y a cinq policiers sur la place, ils portent des gants blancs, ils sifflent pêle-mêle les pas des passants. Le soleil n'a pas de seuil, quand on regarde en l'air à midi vers le balcon blanc de l'Opéra, tout le visage tombe dans le vide. Les sifflets des policiers lancent des étincelles, les ventres des sifflets se renflent sous leurs doigts. Les renflements sont profonds, à croire que chaque policier tient dans sa bouche une cuillère sans manche. Leurs uniformes sont bleu foncé, leurs visages juvéniles et pâles. Les visages des passants sont bouffis par la chaleur, les passants sont nus dans cette lumière. Les femmes traversent la place en portant des légumes du marché dans des sacs transparents en plastique. Les hommes portent des bouteilles. Ceux qui marchent les mains vides, ceux qui ne portent ni fruits, ni légumes, ni bouteilles ont le regard qui tangue en voyant les fruits et les légumes dans des sacs transparents des autres, comme les entrailles de l'été. Des tomates, des oignons, des pommes sous les côtes des femmes. Des bouteilles sous les côtes des hommes. Et au beau milieu de tout cela le balcon blanc, les yeux sont vides."

Une phrase qui m'a plu, pour sa musique (c'est le traducteur qu'il faut féliciter !)
" En haut, le balcon blanc de l'Opéra a mis ses colonnes à l'ombre du mur. Et en bas, les trous de l'asphalte mou sont creusés par les talons hauts des femmes en deuil."

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22 novembre 2009 7 22 /11 /novembre /2009 12:38




Un univers glauque. Des personnages emprisonnés dans un quotidien gris, sâle, sans avenir. Une vie à une seule dimension, le présent. Un présent fermé rythmé par sa seule respiration et par les convocations dans les locaux de la Securitate. Les rapports entre humains : bruts, sans aucune poésie, sans aucune imagination si ce n'est celle de la folie qui arrive pas à pas. Folie, suicide ou assassinat telles sont les trois issues possibles dans cet univers encerclé par les barbelés du désespoir. Seul le tramway a une personnalité, il avance dans la ville quelles que soient les circonstances, quels que soient les passagers.
Raconter la vie de personnages qui n'ont pas d'histoire, pas de passé et pas d'avenir, c'est la prouesse qu'accomplit Herta Müller, mais à quel prix !
Imagine-t-on que des hommes, (faut-il encore les appeler ainsi ?) ont vécu leur vie entière ainsi ?
ce qui est terrible dans ces vies là c'est que plus on vit et plus le monde extérieur pénètre dans votre monde intérieur, jusqu'à la folie ou jusqu'à la mort.
Le livre de raconte aucune histoire, aucune vie cohérente, aucun événement historique, il est fait de la vie de tous les jours de personnages sans épaisseur, victimes de la dictature qui transforme les voisins en indicateurs, les rapports humains en peur de l'autre et l'amour en relations à peine hygiéniques. Comment s'évader de cet univers : en copulant avec des vieillards de l'ancien temps, mais on en meurt par balles comme Lilly, en contemplant l'eau noirâtre du fleuve qui qui aspire avant vous engloutir, en noyant son coeur et sa dignité dans de l'eau-de-vie frelatée.
Quelques phrases prises au hasard :
"Il ne va jamais faire les courses, sinon il saurait que les gens empruntent des enfants pour qu'on augmente dans les magasins leur ration de viande de lait et de pain."...
" J'avais encore de la sympathie pour moi, c'était le seul moyen de pouvoir prendre le tramway avec plaisir, me couper les cheveux courts, acheter de nouveaux vêtements. Et je me faisais également pitié, c'était le seul moyen de me présenter à l'heure chez Albu. J'étais aussi indifférente à moi-même, j'avais l'impression d'avoir mérité ces interrogations pour me punir de ma bêtise. Mais pas pour les raisons convoquées par Albu."... "Devant la poste, il y a une grande boîte aux lettres bleue, combien de lettres y trouvent place... Si je devais la remplir, elle ne se viderait jamais. Depuis les papiers pour l'Italie, je n'ai plus écrit à personne? J'ai simplement raconté des choses à droite et à gauche, i faut parler et non écrire."
"Même les enfants des juges entendent parler du monde et vont au bord de la Mer Noire comme tout un chacun dans ce pays. Ils regardent à l'extérieur et, comme tous les autres, éprouvent jusqu'au bout des ongles les besoins d'un ailleurs. Sans être forcément dans une situation difficile, on pense quand même : ce qui se passe ici ne peut pas être ma vie pour toujours."

A vrai dire je n'ai pas été captivé par ce livre, mais j'ai l'impression d'avoir touché du doigt quelque chose que j'ignorais : la vie des gens ordinaires dans un régime dictatorial. Herta Müller la décrit avec une grande justesse, elle exprime avec lucidité ces vies sans but qui ne tiennent qu'à un fil et qui se raccrochent à des détails sans jamais lever la tête vers des horizons inaccessibles. Et ceux qui de temps en temps tentent l'impossible y perdent leur vie au mieux et leurs illusions au pire.
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8 novembre 2009 7 08 /11 /novembre /2009 19:18

C'est un livre, qu'on m'a offert cet été et que j'ai dévoré de la première à la dernière page. Et pourtant il fait 581 pages.
Le thème : comment la didacture fonctionne de l'intérieur, comment des hommes et un peuple entier peuvent-ils subir sans broncher la tyrannie d'un seul homme et de sa famille ?
On en revient toujours à la même question, quel que soit le livre, quelle que soit la situation : qu'est-ce qui fait que nous acceptons l'intolérable ?
" Le Bouc (Trujillo) avait retiré aux hommes l'attribut sacré que Dieu leur avait concédé : le libre-arbitre".
Certains toutefois ne l'acceptent pas, et, même s'ils atteignent leur objectif, ils le paient très cher. Se révolter, dire non dans une dictature, c'est signer son arrêt de mort et celui de sa famille, de ses amis après avoir subi les pires humiliations, la torture physique et morale ... Cela aussi explique beaucoup de choses.
Le dictateur ici c'est Trujillo qui a régné plus de 30 ans sans partage sur Saint-Domingue. Vargas Llosa, en romancier averti, jongle avec les politiciens serviles, les hommes de main à la botte du Bienfaiteur, les militaires imbéciles tous inféodés au Généralissime, les libérateurs courageux, et les civils, femmes, enfants, victimes avant tout. La plupart ont réellement existé, d'autres ont été inventés par l'auteur, ils comblent des vides en quelque sorte et permettent à l'intrigue de prendre toute sa dimension romanesque.
Extrait :
( Une jeune femme,victime des agissements du dictateur avec la complicité de son propre père - président du Sénat sous Trujillo - ne pardonnera jamais à ce dernier sa lâcheté) :
" Elles étaient assez hypocrites tes lettres? Tu parlais toujours avec des détours, des allusions, qu'elles n'aillent pas tomber sous des yeux étrangers et que d'autres apprennent cette histoire. Sais-tu pourquoi je n'ai jamais pu te pardonner ? Parce que tu n'as jamais vraiment regretté. Après avoir servi le Chef durant tant d'années, tu avais perdu tout scrupule, toute sensibilité, toute trace de rectitude. A l'image de tes collègues. Et peut-être du pays tout entier. Etait-ce la condition sine qua non pour se maintenir au pouvoir sans mourir de dégoût ? Perdre son âme, devenir un monstre comme ton Chef..." p. 156


Le didacteur Rafael Leonidas Trujillo Molina
qui régna sans partage de 1930 à 1961 sur la République dominicaine.
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Je n'en dirai pas plus, sinon il me faudrait des pages pour parler de ce livre. Il est préférable de le découvrir page par page, et d'en ressortir plus lucide, peut-être plus intelligent pour décrypter le réel, et plus fort pour lutter contre les dérives d'une société autocratique.
Llosa a remarquablement atteint son but, je conseille ce livre à tous ceux qui cherchent à comprendre pourquoi et comment un seul homme avec une poignée de sbires peut imposer sa loi à tout un peuple, avec la complicité des Etats-Unis et de l'Eglise.
Un grand livre.
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VARGAS LLOSA, il y a quelques années.

Mario VARGAS LLOSA est un écrivain né en 1936 au Pérou, à Arequipa, et qui vit aujourd'hui en Espagne. C'est d'abord et avant tout un écrivain qui a produit des oeuvres d'une qualité parfois inégale. C'est aussi un homme politique. il a d'abord sympathisé avec le parti communiste péruvien. Mais ensuite, après la révolution cubaine de Castro, il s'est clairement situé du côté de la droite libérale dans son pays. C'est sous cette étiquette qu'il s'est présenté à la présidentielle au Pérou en 1990. Il a été battu par Fujimori, inconnu à l'époque, et il a gardé de cette épisode de sa vie une profonde amertume.
Il a quitté l'Amérique du Sud pour vivre en Espagne. Il a d'ailleurs acquis la nationalité espagnole, tout en conservant sa nationalité péruvienne. Il continue à écrire et à parcourir le monde en donnant des conférences dans les plus grandes universités.
Avec "La fête au bouc", il signe un véritable chef-d'oeuvre de la littérature latino-américaine.
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VARGAS LLOSA, aujourd'hui.
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8 novembre 2009 7 08 /11 /novembre /2009 19:15

Je n'ai pas accroché. Ce livre a glissé entre mes mains, comme un lièvre à tois pattes sur les glaces nordiques. A partir de ce constat que puis-je dire ?
Bien sûr il faut prendre le récit au premier degré. Il n'y a pas de sens caché. C'est peut-être ce qui me manque. Est-ce présomptueux de ma part ? Peu importe ! J'aime bien qu'un roman me fasse découvrir un monde nouveau, des personnages, des situations riches de sens, l'univers d'un auteur, un style ...
Ici, rien de tout cela. Tout est simple, banal, dérisoire, mais je ne dirais pas léger, contrairement à certaines critiques car pour moi la légèreté est ce qu'il y a de plus complexe à mettre en musique (Cf. le Boulevard Périphérique de Bauchau). On doit vraiment se faire chier en Finlande ! Les personnages sont décrits en surface, tantôt agressifs, tantôt avinés, souvent caricaturés avec talent certes, mais cela ne suffit pas. Comme l'humour de Paasilinna n'a pas de prise sur moi, je ne peux qu'être un peu déçu. De temps en temps, j'ai à peine esquissé un sourire.
De quoi s'agit-il ? D'un homme qui saisit une occasion de s'évader de sa vie quotidienne. Il s'attache à un lièvre qui lui sert de guide symbolique et il redécouvre la nature, les gens, les animaux. Sa vie devient une suite d'imprévus, d'aventures. Il parcourt la Finlande du sud au nord. L'auteur distille au fil des pages un humour qui ne me touche pas. Bref, je n'ai pas été captivé.
J'observe toutefois que plus j'approchais de la fin et plus mon intérêt grandissait, notamment lors de la chasse à l'ours. Le ton se durcit, l'humour disparaît et l'auteur nous invite à relire tous les événements vécus par Vatanen et son lièvre avec le regard d'un cityoyen respectueux des lois, vivant dans un monde civilisé et aseptisé. Cette relecture c'est un peu la leçon du livre. Mais on est loin d'un manifeste anarchiste ! C'est une maigre consolation. On dit de ce livre que c'est un livre culte, le premier roman écologique. Admettons, mais dans ce cas je pense qu'on peut mieux faire.
J'apprends en consultant un site Internet que c'est Christophe Lambert qui incarna le personnage de Vatanen au cinéma, celà confirme totalement l'idée que je me faisais du personnage.
Et le lièvre, qui l'a interprété ?
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8 novembre 2009 7 08 /11 /novembre /2009 19:12























Je n'ai pas grand-chose à dire de ce livre.
Il est plaisant à lire, malgré l'utilisation systématique du passé simple et de l'imparfait. On a l'impression de lire un conte du 18ème, mais sans le style d'un Bernardin de Saint Pierre et a fortiori d'un Voltaire, on en est loin.
Un avion tombe à l'eau, des naufragés échouent sur une île, quoi de plus banal ? Quoi de moins original ? Une organisation sociale se met en place petit à petit et les aventures au quotidien des quelques cinquante naufragés devraient nous passionner. Elles ne font que nous bercer dans un climat exotique à l'ombre des cocotiers et j'ai eu du mal à lutter contre une pandémie de baillements.
Que peut on chercher derrière tout cela ? Que les hommes aspirent au plus profond d'eux-mêmes à vivre plus près de la nature et à réinventer en quelque sorte la vie sur terre en dehors des carcans législatifs et réglementaires. Et pourtant, eux-mêmes ces naufragés se trouvent dans l'obligation d'élire un chef et d'établir un réglement. Ils vont même jusqu'à inventer des punitions corporelles pour châtier ceux qui commettent des fautes...
Mais arrêtons-nous, il ne sert à rien de réécrire le livre, cela ne présente aucun intérêt.
Que retirer de cette lecture ?
Peut-être la nécessité de prendre du recul sur la vie que nous menons dans nos pays d'Europe et de réapprendre à vivre simplement en établissant des priorités qui soient les nôtres et non celles qu'on nous impose.
Quant à l'humour de notre écrivain, j'ai l'impression d'être passé totalement à côté.
Je concluerai par un grand BOF... avant d'aller me coucher et de rêver aux îles du Pacifique.
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8 novembre 2009 7 08 /11 /novembre /2009 18:26


Retour au pays de la vraie littérature.
Telle est mon impression première après avoir lu d'un trait, en français (l'édition est bilingue), le texte de cette nouvelle de l'écrivain autrichien.
L'auteur décrit avec minutie et virtuosité les composantes d'une vie quotidienne et tranquille dans une petite ville d'Angleterre, Bath.
Ainsi découvre-t-on progressivement les rapports de voisinage entre un couple de personnes agées et un couple sans enfant qui vient s'installer dans une maison voisine. Peu à peu le lecteur se laisse bercer par les délices de la description de cette vie monotone et sans histoires. Et puis soudain, Zweig s'attache à décrire plus en profondeur le tempérament de l'homme d'à côté. Exhubérant, enthousiaste, monomaniaque on le voit peu à peu délaisser tout son entourage pour se consacrer à un petit chien bouledogue que ses voisins âgés lui propose d'adopter. "Une maison n'était pas une vraie maison, sans un chien".
Peu à peu ce chiot focalise toute l'attention de son maître M. Limpley. Zweig nous décrit avec tout son art la relation qui s'établit entre l'homme et l'animal au fil des jours. Relation qui devient dominante et qui empoisonne littéralement toutes les autres relations que peuvent avoir M. et Mme Limpley avec leurs voisins et leurs amis.
L'animal devient un vrai tyran, il exerce un pouvoir sans partage sur l'homme qui devient peu à peu son esclave.
L'épouse de M. Limpley est rongée par une tristesse infinie. Son secret espoir est d'avoir un enfant. Mais depuis des années le couple n'y arrive pas.
Un jour cependant, Mme Limpley apprend une extraordinaire nouvelle : elle est enceinte !
Les voisins font en sorte d'apprendre la nouvelle à M. Limpley qui avait fait table rase de ses espoirs de devenir père.
Soudain tout devient possible. Sa paternité future devient sa nouvelle obsession. Il se consacre alors exclusivement à sa femme et il délaisse son chien Ponto qui passe d'un statue de créature adulée à celui d'animal encombrant et délaissé. Jour après jour il dépérit. Il tente par tous les moyens de susciter à nouveau l'intérêt de son maître, mais rien n'y fait.
La vieille voisine est émue par le regard de l'animal, lourd de désespoir et en quête de tendresse. Mais l'homme ne s'occupe plus que de sa femme et du futur bébé.
Arrive le jour de l'accouchement et là se produit une première catastrophe, que je laisse au lecteur le soin de découvrir.
Le chien est banni, il doit s'exiler chez le boucher de la ville. Mais ses "sentiments" sont à la hauteur de la passion qu'il avait naguère suscitée chez son maître.
Arrive alors un second malheur, tragique, horrible ! La vieille voisine a son idée sur ce qui est arrivé.

Je trouve ce petit texte merveilleux. Il témoigne d'une époque où la littérature était encore un des moyens d'expression privilégié.
Malgré la traduction, le style de l'auteur, sa précision dans la description des situations et surtout des caractères des personnages est un vrai régal.
Et bien sûr, il y a une morale dans l'histoire, car à l'époque la littérature était riche d'enseignements, au lecteur de la découvrir !
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Luis Sepulveda, " L'ombre de ce que nous avons été ", Métailié editeur, p. 148

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