Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 novembre 2009 7 22 /11 /novembre /2009 12:38




Un univers glauque. Des personnages emprisonnés dans un quotidien gris, sâle, sans avenir. Une vie à une seule dimension, le présent. Un présent fermé rythmé par sa seule respiration et par les convocations dans les locaux de la Securitate. Les rapports entre humains : bruts, sans aucune poésie, sans aucune imagination si ce n'est celle de la folie qui arrive pas à pas. Folie, suicide ou assassinat telles sont les trois issues possibles dans cet univers encerclé par les barbelés du désespoir. Seul le tramway a une personnalité, il avance dans la ville quelles que soient les circonstances, quels que soient les passagers.
Raconter la vie de personnages qui n'ont pas d'histoire, pas de passé et pas d'avenir, c'est la prouesse qu'accomplit Herta Müller, mais à quel prix !
Imagine-t-on que des hommes, (faut-il encore les appeler ainsi ?) ont vécu leur vie entière ainsi ?
ce qui est terrible dans ces vies là c'est que plus on vit et plus le monde extérieur pénètre dans votre monde intérieur, jusqu'à la folie ou jusqu'à la mort.
Le livre de raconte aucune histoire, aucune vie cohérente, aucun événement historique, il est fait de la vie de tous les jours de personnages sans épaisseur, victimes de la dictature qui transforme les voisins en indicateurs, les rapports humains en peur de l'autre et l'amour en relations à peine hygiéniques. Comment s'évader de cet univers : en copulant avec des vieillards de l'ancien temps, mais on en meurt par balles comme Lilly, en contemplant l'eau noirâtre du fleuve qui qui aspire avant vous engloutir, en noyant son coeur et sa dignité dans de l'eau-de-vie frelatée.
Quelques phrases prises au hasard :
"Il ne va jamais faire les courses, sinon il saurait que les gens empruntent des enfants pour qu'on augmente dans les magasins leur ration de viande de lait et de pain."...
" J'avais encore de la sympathie pour moi, c'était le seul moyen de pouvoir prendre le tramway avec plaisir, me couper les cheveux courts, acheter de nouveaux vêtements. Et je me faisais également pitié, c'était le seul moyen de me présenter à l'heure chez Albu. J'étais aussi indifférente à moi-même, j'avais l'impression d'avoir mérité ces interrogations pour me punir de ma bêtise. Mais pas pour les raisons convoquées par Albu."... "Devant la poste, il y a une grande boîte aux lettres bleue, combien de lettres y trouvent place... Si je devais la remplir, elle ne se viderait jamais. Depuis les papiers pour l'Italie, je n'ai plus écrit à personne? J'ai simplement raconté des choses à droite et à gauche, i faut parler et non écrire."
"Même les enfants des juges entendent parler du monde et vont au bord de la Mer Noire comme tout un chacun dans ce pays. Ils regardent à l'extérieur et, comme tous les autres, éprouvent jusqu'au bout des ongles les besoins d'un ailleurs. Sans être forcément dans une situation difficile, on pense quand même : ce qui se passe ici ne peut pas être ma vie pour toujours."

A vrai dire je n'ai pas été captivé par ce livre, mais j'ai l'impression d'avoir touché du doigt quelque chose que j'ignorais : la vie des gens ordinaires dans un régime dictatorial. Herta Müller la décrit avec une grande justesse, elle exprime avec lucidité ces vies sans but qui ne tiennent qu'à un fil et qui se raccrochent à des détails sans jamais lever la tête vers des horizons inaccessibles. Et ceux qui de temps en temps tentent l'impossible y perdent leur vie au mieux et leurs illusions au pire.
Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : LIVREAPART
  • : Publication de critiques relatives à des romans, des essais français, francophones ou étrangers. Articles, interviews de philosophes. Réflexions personnelles Photos de voyages
  • Contact

LIBRE EXPRESSION DU JOUR

" Les gens courageux n'existent pas, il y a seulement ceux qui acceptent de marcher coude à coude avec leur peur."
Luis Sepulveda, " L'ombre de ce que nous avons été ", Métailié editeur, p. 148

Archives

Pages