23 janvier 2010
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"Je suis frappé de la naïveté perspicace, de la justesse drue et directe, de la verdeur jaillissante des peintres, des sculpteurs, des musiciens, de la plupart des artistes de la main, de l'oeil et de l'ouïe lorsqu'ils sont capables de parler de leur art; à côté d'eux, chez l'écrivain qui parle de l'écriture, tout est trop souvent outrance ou rétraction, poudre aux yeux, alibi. Les causes en sont dans la profonde ambiguïté de la littérature dont mille diastases travaillent et font fermenter la matière à mesure qu'elle s'élabore. Le commentaire sur l'art d'écrire est mêlé de naissance, inextricablement, à l'écriture. L'artiste plastique qui prend du recul et cherche à comprendre ce qu'il fait est devant sa toile comment devant une verte et intacte prairie : pour l'écrivain, la matière littéraire qu'il voudrait ressaisir dans sa fraîcheur est déjà pareille à ce qui passe du deuxième au troisième estomac d'un ruminant."
"En lisant, en écrivant", Julien Gracq, Edit. José Corti, 1980, p.7 et 8