Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
25 mars 2010 4 25 /03 /mars /2010 16:53


Capture-plein-ecran-03022010-113431.bmp.jpg

J'ai enfin terminé les quelque 400 pages de "Bouvard et Pécuchet". J'avoue ne pas avoir le courage de lire le "Dictionnaire des Idées Reçues" qui devait servir de socle à la suite de "Bouvard..."

Pour mieux situer l'oeuvre, je ne résiste pas à reprendre la description que fit jadis Guy de Maupassant de l'histoire de "Bouvard et Pécuchet", il n'y a rien à ajouter et rien à retirer :

" Deux copistes employés à Paris se rencontrent par hasard et se lient d'une étroite amitié. L'un d'eux fait un héritage, l'autre apporte ses économies ; ils achètent une ferme en Normandie, rêve de toute leur existence, et quittent la capitale.

Alors, ils commencent une série d'études et d'expériences embrassant toutes les connaissances de l'humanité ; et, là, se développe la donnée philosophique de l'ouvrage.

Ils se livrent d'abord au jardinage, puis à l'agriculture, à la chimie, à la médecine, à l'astronomie, à l'archéologie, à l'histoire, à la littérature, à la politique, à l'hygiène, au magnétisme, à la sorcellerie ; ils arrivent à la philosophie, se perdent dans les abstractions, tombent dans la religion, s'en dégoûtent, tentent l'éducation de deux orphelins, échouent encore et, désabusés, désespérés, se remettent à copier comme autrefois."

La première impression qui se dégage à la suite de cette lecture, c'est d'abord l'admiration pour le travail extraordinaire de préparation qu'a nécessité l'écriture de ce roman. D'après les informations données à l'époque par l'auteur, il aurait lu plus de 1500 livres pour se documenter. "Bouvard et Pécuchet" constitue donc d'abord un état des connaissances du 19e. Flaubert a travaillé avec une grande rigueur et il a su, pour chaque domaine du savoir, trouver les mots pour établir des synthèses et pour échafauder arguments et contre-arguments. Le travail accompli est monumental, mais cela n'a pas grand-chose à voir avec la littérature. D'ailleurs, ce livre n'est-il pas plus un conte philosophique qu'un roman ?

Ma seconde impression est que le procédé utilisé par Flaubert pour nous faire traverser les différents champs du savoir devient au premier abord assez rapidement lassant :

1.    enthousiasme de nos deux compères au départ pour un domaine spécifique de la connaissance,

2.     étude livresque acharnée des principaux auteurs consacrés,

3.     tentatives d'applications sur le terrain

4.     examen des résultats obtenus et finalement constat d'échec.

5.     exploration d'un nouveau domaine de savoir

Flaubert transpose le procédé à chacun des grands domaines de connaissances et l'on a ainsi l'architecture globale de l'œuvre.

Il n'y a pas de conclusion au livre, d'une part parce qu'il n'a pas été terminé, d'autre part parce que le cheminement suivi par l'auteur n'appelait pas de conclusion, on est dans un schéma cyclique et non linéaire. A la fin du roman, Bouvard et Pécuchet redeviennent copistes, c'est-à-dire qu'ils retrouvent leur véritable rang social et fonctionnel si je puis dire !

Certains commentateurs voient ici une marque du génie de l'auteur : " Le plaisir toujours neuf vient de ce qu'on rejoue chaque fois sur la scène de l'imaginaire la comédie du savoir. Dans chacun des épisodes pourtant si irréalistes dans leur enchaînement même, on revit de l'intérieur un désir qui est celui de chacun d'entre nous : comprendre et maîtriser le monde par le savoir." (In "Présentation", par Stéphanie Dord-Crouslé, dans l'édition Poche GF). Encore une fois je n'ai pas été séduit au premier abord.

Mais si l'on prend un peu de recul, on découvre que l'ami Flaubert a fait preuve d'innovation en jouant à la fois du fond et de la forme et de bien d'autres choses encore, pour susciter les impressions du lecteur. Cette fois-c,i on est au cœur de la littérature.

En premier lieu, l'auteur ne prend jamais position sur le contenu des idées que cherchent à s'approprier les deux ex-copistes. Mais l'omniprésence de Bouvard et Pécuchet qui jouent tantôt la complémentarité, tantôt la contradiction, lui permet d'établir un décalage entre les différentes disciplines abordées et leurs effets.

Ce décalage met en évidence la bêtise humaine dont se moque Flaubert. Mais cette bêtise n'est pas tant dans les idées exposées que dans la manière dont les hommes se les approprient. Un sentiment se fait jour en nous :  tout est mouvement, il n'y a pas de certitudes, même dans les sciences dites exactes. Comme aurait dit Montaigne : "Quand on dure assez longtemps, on a vu tout et le contraire de tout..."

En réalité, il y a deux niveaux de dérision dans le roman, celui qui concerne les savants et autres experts ou philosophes et l'expression de leurs idées contradictoires, et celui de ceux qui cherchent à s'approprier ces connaissances en autodidactes et qui ne disposent ni des prérequis comme on dirait aujourd'hui, ni des bonnes méthodes. Il ne suffit pas de lire pour comprendre et maîtriser les phénomènes n'est-ce pas ? Et c'est une grande leçon que nous donne ici Flaubert.

Au final, on observe que ce sont bien la structure, la forme, la dualité des personnages, les thèmes et l'architecture du roman qui se combinent pour créer cette "comédie du savoir" cette "farce", dont ont parlé certains commentateurs.

Mais alors, comment faut-il procéder ?

Cette question n'est pas résolue par Flaubert. En tant qu'observateur, ce n'est pas son problème. Il pose un regard critique sur la société de son temps. Il ne propose pas de solutions. Rappelons quand même que Flaubert a eu plusieurs fois maille à partir avec l'establishment de la société bien pensante du 19e. L'affaire de Madame Bovary l'a certainement profondément marqué et il n'est pas tendre avec ses contemporains.

Un mot concernant le style. Il faudrait l'analyser à la loupe, car, à l'évidence le style de Flaubert est particulièrement travaillé. Tout le monde connaît son habitude consistant à "gueuler" les phrases de ses manuscrits en présence de tiers, pour s'assurer qu'elles étaient équilibrées et qu'elles tombaient bien. Mais derrière chacune d'entre elles, il y a un travail considérable de l'auteur. Maupassant qui lui doit tant, écrivait à propos de "Bouvard et Pécuchet":
"
Et la phrase aussi le tourmentait, la phrase si concise, si précise, colorée en même temps, qui devait renfermer en deux lignes un volume, en un paragraphe toutes les pensées d'un savant. Il prenait ensemble un lot d'idées de même nature et comme un chimiste préparant un élixir, il les fondait, les mêlait, rejetait les accessoires, simplifiait les principales, et de son formidable creuset sortaient des formules absolues contenant en cinquante mots un système entier de philosophie."
Pour illustrer ce propos de Maupassant et pour prendre conscience de l'énorme travail fourni par Flaubert, on peut se reporter à une étude intitulée " Bouvard et Pécuchet et le savoir médical " par Norioki Sugaya (http://flaubert.revues.org/index392.html). L'auteur analyse notamment le passage de la fièvre typhoïde de Gouy pour mettre en évidence la manière dont Flaubert opérait. Il décrypte la manière dont Flaubert procédait pour montrer les contradictions entre les grands pontes de la science médicale. Ainsi pour justifier l'abandon de la médecine par nos deux compères, il reprend certains des arguments savants avancés par M. Cabanis dans son livre intitulé " Du degré de certitude de la médecine" (paru en 1798)". Les non spécialistes que nous sommes n'y voient que du feu, mais les experts de l'époque pouvaient relever la justesse des arguments et des contre-arguments présentés par l'auteur et l'investissement intellectuel considérable auquel il a du consentir pendant plusieurs années.

Je n'en dirai pas plus. Je reste très admiratif de la quantité et de la qualité du travail de Flaubert, je reste plus réservé quant à la puissance romanesque de "Bouvard et Pécuchet". En tout cas c'est un livre qui ne laisse pas indifférent et qui fait rféléchir le lecteur peut-être encore plus aujourd'hui qu'hier.

Partager cet article
Repost0

commentaires

P
<br /> Remarquable analyse qui me laisse coi (je n'ai pas dit coït !). Le style chez Flaubert est semblable à celui d'un Zatopeck aux Jeux Olypiques de 52 !<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> T'emm... pas Gérard, tu n'as qu'à lire MON Dictionnaire des idées reçues !<br /> <br /> <br />
Répondre

Présentation

  • : LIVREAPART
  • : Publication de critiques relatives à des romans, des essais français, francophones ou étrangers. Articles, interviews de philosophes. Réflexions personnelles Photos de voyages
  • Contact

LIBRE EXPRESSION DU JOUR

" Les gens courageux n'existent pas, il y a seulement ceux qui acceptent de marcher coude à coude avec leur peur."
Luis Sepulveda, " L'ombre de ce que nous avons été ", Métailié editeur, p. 148

Archives

Pages