Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 février 2010 5 19 /02 /février /2010 13:28


Lattrape-coeurs.jpg

Je dois avouer que je ne connaissais pas J.D. Salinger, avant qu'on annonce son décès récent. Devant les commentaires très admiratifs de son roman "L'attrape-coeurs" publié en 1951 et vendu à plus de 60 millions d'exemplaires dans le monde , j'ai décidé d'acheter cet ouvrage et de le lire rapidement. Ce qui fut fait.
Mon impression est qu'il s'agit effectivement d'un roman de grande qualité.

Pourquoi ?

Tout d'abord c'est un livre qui a pour thème l'adolescence. Le héros du livre Holden a seize ans et il promène son mal de vivre pendant les 237 pages du bouquin. Salinger sait rendre à merveille l'état d'esprit d'un jeune homme mal dans sa peau qui éprouve d'énormes difficultés à communiquer avec les autres qu'ils s'agisse de ses copains de collège, des filles qu'il s'évertue à draguer et des grandes personnes qui le regardent tantôt avec un
air soupçonneux, tantôt avec condescendance.
Chaque chapitre est consacré à une rencontre ou plutôt à une tentative avortée de rencontre avec une autre personne. Holden critique tout, semble être revenu de tout, voit toujours ce qui ne va pas chez les autres. Et pourtant à chaque instant on sent qu'il est en attente de l'autre, mais rien ne se passe. Evidemment Holden trouve des explications à tout. Mais son mal de vivre empire, sa solitude devient de plus en plus pesante, comme l'illustrent certaines phrases extraites du livre :

 "En tout cas ça m'a encore foutu le bourdon et j'ai été à deux doigts de reprendre mon manteau et de rentrer à l'hôtel. Mais il était très tôt et je tenais pas à me retrouver tout seul." (p.99)

"Le hall était vide. Ça chlinguait comme cinquante millions de cigares refroidis. Je vous jure. J'avais toujours pas sommeil mais je me sentais mal foutu. Déprimé et tout. Je me disais que je serais presque mieux mort, tout compte fait." (p.106)

"Quand la môme Sunny a été partie, je suis resté un moment assis dans le fauteuil et j'ai fumé deux ou trois clopes. Ouais, je me sentais misérable. Je me sentais tellement vidé, vous pouvez pas vous imaginer." (p.114)

On pourrait multiplier les exemples.
C'est à la fois un livre sur l'adolescence, mais aussi sur l'incommunicabilité et sur la solitude.

Autre raison de la qualité de ce roman, c'est la grande subtilité avec laquelle Salinger dépeint des situations de la vie courante. Maintes fois au cours de ma lecture, j'ai retrouvé des impressions vécues lors de ma propre adolescence dans mes relations avec des camarades de classe, dans des tentatives d'approche des filles, dans le décalage permanent entre nos préoccupations et les discours des adultes.
Holden, derrière sa carapace, déploie une intelligence parfois féroce :

"Ernie est un grand gros type qui joue du piano. Un snobinard de première qui vous dira pas un mot si vous êtes pas un ponte une célébrité ou quoi. Mais le piano il sait en jouer. IL joue si bien qu'il est un peu à la noix en quelque sorte. Je sais pas trop ce que je veux dire par la  mais c'est pourtant bien ce que je veux dire. Sûr que j'aime l'entendre jouer, mais quelquefois, son piano, on a envie de le foutre en l'air. C'est sans doute que parce que lorsqu'il joue, quelquefois, même ce qu'il joue ça vous montre qu'il est un gars qui parle seulement aux grands pontes." (p.94)

"Si vous voulez le savoir, je peux même pas supporter les aumôniers. Ceux qu'on a eus dans chaque école où je suis allé, ils avaient tous ces voix de prédicateurs foireux quand ils se lançaient dans leurs sermons. Bon Dieu, je déteste ça. Je vois pas pourquoi ils peuvent pas parler d'un ton naturel. Quand ils parlent ça fait tellement bidon."
(p.116)

La seule personne qui trouve gré aux yeux de Holden, c'est sa petite soeur Phoebé. Devant elle, il est admiratif. Il est lui-même. Entre eux deux, les paroles, les gestes sont d'une pureté et d'une simplicité totales.
Phoebe est franche avec Holden elle perce ses comportements d'adolescent en révolte :
"La môme Phoebé a dit quelque chose, mais j'ai pas compris. Elle avait le coin de sa bouche contre l'oreiller et j'ai pas compris.
J'ai dit : "Quoi ? Sors ta bouche de là. Je comprends pas quand t'ouvres pas bien la bouche.
- Tu aimes jamais rien de ce qui se passe"
Qu'elle dise ça j'en ai eu le cafard encore plus.
"Mais si. Mais si. Dis pas ça. Pourquoi tu dis ça, bon Dieu ?
- Parce que c'est vrai. T'aimes aucune école. T'aimes pas un million de choses. T'aimes rien.
- Mais si. C'est là où tu te trompes. C'est là où tu te trompes totalement."
J'ai dit "Pourquoi faut-il que tu dises ça, bon Dieu". Ouah. J'étais tout démoli."

Plus loin, Salinger décrit l'émotion qui s'empare de son personnage lorsque sa petite soeur lui avance l'argent de ses cadeaux de Noël afin qu'il puisse se payer des transports. On touche du doigt l'extrême sensibilité de l'adolescence :
"- Bon Dieu, y a combien ?
- Huit dollars quatre vingt cinq cents. Non, soixante cinq cents. J'en ai dépensé un peu."
Alors brusquement je me suis mis à chialer. Je pouvais pas m'en empêcher. Je me suis arrangé pour que personne n'entende, mais j'ai chialé. La pauvre Phoebé ça lui a foutu un coup et elle est venue près de moi et elle voulait que j'arrête mais quand on a commencé pas moyen de s'arrêter pile. J'étais toujours assis au bord du lit et elle a mis son bras autour de mon cou, et j'ai mis aussi mon bras autour d'elle mais je pouvais toujours pas m'arrêter. J'ai même eu l'impression que j'allais claquer à force de suffoquer. Ouah, la pauvre Phoebé, je lui ai foutu les jetons. La fenêtre était ouverte et tout, et je la sentais qui frissonnait parce qu'elle avait rien d'autre sur elle que son pyjama."
(p. 201). Emouvant n'est-ce pas !

La troisième raison qui fait que ce roman est un grand livre, c'est le style de l'auteur. Comme le lecteur a pu le comprendre en parcourant les quelques extraits ci-dessus, c'est un style familier, du langage courant, mais du langage courant d'étudiant, d'adolescent qui véhicule à merveille à la fois une intolérance chronique à l'égard des comportements des autres, une ironie grinçante et un extraordinaire besoin de communiquer, de découvrir, bref d'aimer ! Malheureusement le lecteur francophone perd certainement une grande partie des subtilités de la langue de l'écrivain, néanmoins, même à travers la traduction, transparaît cette vision du monde que peut avoir un jeune homme de seize ans dans les années 50, en marge de son milieu, mal dans ses pompes.

Quant au titre du livre "l'attrape-coeurs" il a sa source dans une chanson ou plus exactement dans une mauvaise compréhension des termes d'un poème de Robert Burns. Les termes exacts sont "Si un corps rencontre un corps qui vient à travers les seigles" et Salinger d'interpréter, via son héros : "Si un coeur attrape un coeur..."
Holden rêve alors d'un monde sans adulte :
"Je me représente tous ces petits mômes qui jouent à je ne sais quoi dans le grand champ de seigle et tout. Des milliers de petits mômes et personne avec eux - je veux dire pas de grandes personnes - rien que moi. Et moi je suis planté au bord d'une saleté de falaise. Ce que j'ai à faire c'est d'attraper les mômes s'ils approchent trop près du bord. Je veux dire s'ils courent sans regarder où ils vont, moi je rapplique et je les attrape. C'est ce que je ferais toute la journée. Je serais juste l'attrape-coeurs et tout. D'accord c'est dingue, mais c'est vraiment ce que je voudrais être. Seulement ça. D'accord, c'est dingue."

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : LIVREAPART
  • : Publication de critiques relatives à des romans, des essais français, francophones ou étrangers. Articles, interviews de philosophes. Réflexions personnelles Photos de voyages
  • Contact

LIBRE EXPRESSION DU JOUR

" Les gens courageux n'existent pas, il y a seulement ceux qui acceptent de marcher coude à coude avec leur peur."
Luis Sepulveda, " L'ombre de ce que nous avons été ", Métailié editeur, p. 148

Archives

Pages