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9 avril 2010 5 09 /04 /avril /2010 11:42

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Flaubert est sans nul doute un bon vivant. Toute sa vie, il sera fidèle à sa double culture gastronomique à la fois provinciale et parisienne.

Dans ses romans, il aura toujours le souci et l'habileté d'établir des liens entre culture et nourritures terrestres. Les mets, la cuisine et la manière de manger étant souvent le reflet le plus réaliste d'une civilisation, d'une classe, d'une communauté ou d'un territoire. Il illustre parfaitement dans ses écrits le mot de l'un des frères Goncourt : "Le peuple déjeune, la bourgeoisie dîne, la noblesse soupait. L'estomac se lève plus ou moins tôt chez l'homme selon sa distinction."

Parcourant quelques-uns de ses textes, j'ai pu observer cette approche.

Dans " Un Coeur Simple" par exemple, chez les gens de condition modeste, chez les domestiques comme Félicité, les nourritures terrestres scandent l'ordinaire de la vie quotidienne : " Econome, elle mangeait avec lenteur, et recueillait du doigt sur la table les miettes de son pain - un pain de douze livres, cuit exprès pour elle et qui durait vingt jours." Elles témoignent de leur condition sociale.

Parfois, ces mêmes aliments et gourmandises servent d'appâts aux jeunes gens entreprenants: " Elle se tenait à l'écart modestement, quand un jeune homme d'apparence cossue, et qui fumait sa pipe les deux coudes sur le timon d'un banneau, vint l'inviter à la danse. Il lui paya du cidre, du café , de la galette et un foulard, et, s'imaginant qu'elle le devinait, offrit de la reconduire. Au bord d'un champ d'avoine, il la renversa brutalement. Elle eut peur et se mit à crier. Il s'éloigna. "

Dans son chef-d'oeuvre, Madame Bovary, chez les paysans, comme chez le père d'Emma, les mets sont lourds et consistants. Ce sont les produits de la ferme de la pêche et de la chasse qui sont accommodés d'une manière simple et arrosés de cidre ou de vins bien choisis.

En revanche pour les moments importants de la vie comme le mariage, on fait ripaille jusqu'à plus faim et plus soif, on reste à table du matin jusqu'au soir : " C'était sous le hangar de la charretterie que la table était dressée. Il y avait dessus quatre aloyaux, six fricassées de poulets, du veau à la casserole, trois gigots et, au milieu, un joli cochon de lait rôti, flanqué de quatre andouilles à l'oseille. Aux angles se dressait l'eau-de-vie dans des carafes. le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse épaisse autour des bouchons et tous les verres, d'avance avaient été remplis de vin jusqu'au bord. de grands plats de crème jaune, qui flottaient d'eux-mêmes au moindre choc de la table... On avait été chercher un pâtissier à Yvetot pour les tourtes et les nougats."

Chez les aristocrates, en revanche, les fêtes sont délicates et raffinées, comme chez le marquis d'Andervilliers. Dans ce monde-là Mesdames, Messieurs, le décorum est tout aussi important que les mets :

"Emma se sentit en entrant, enveloppée par un air chaud, mélange du parfum des fleurs et du beau linge, du fumet des viandes et de l'odeur des truffes. Les bougies des candélabres allongeaient des flammes sur les cloches d'argent; les cristaux à facettes, couverts d'une buée mate, se renvoyaient des rayons pâles, des bouquets étaient en ligne sur toute la longueur de la table, et, dans les assiettes à large bordure, les serviettes, arrangées en manière de bonnet d'évêque, tenaient entre le bâillement de leurs deux plis chacune un petit pain de forme ovale. Les pattes rouges des homards dépassaient les plats; de gros fruits dans des corbeilles à jour s'étageaient sur la mousse, les cailles avaient leurs plumes, des fumées montaient; et, en bas de soie, en culotte courte, en cravate blanche, en jabot, grave comme un juge, le maître d'hôtel, passant entre les épaules des convives les plats tout découpés, faisait d'un coup de sa cuiller sauter pour vous le morceau qu'on choisissait..." (p. 45)

Dans ces fêtes là, Madame, Monsieur, on y boit du champagne et cela ne laisse pas indifférents les invités, ainsi Emma :

" On versa du vin de Champagne à la place. Emma frissonna de toute sa peau en sentant ce froid dans sa bouche. Elle n'avait jamais vu de grenades ni mangé d'ananas. Le sucre en poudre même lui parut plus blanc et plus fin qu'ailleurs..." (p. 46)

Mais au-delà des classes sociales de son époque, Flaubert a aussi mené l'enquête sur les goûts alimentaires des générations passées, qu'elles aient vécu en nos contrées ou aux portes de l'Orient. Ainsi décrit-il dans Salammbo avec moult détails le fameux festin des Barbares dans les jardins du carthaginois Hamilcar, à l'époque des guerres puniques. En voici un court extrait :

" D'abord on leur servit des oiseaux à la sauce verte, dans des assiettes d'argile rouge rehaussées de dessins noirs, puis toutes les espèces de coquillages que l'on ramasse sur les côtes puniques, des bouillies de froment, de fève et d'orge, et des escargots au cumin, sur des plats d'ambre jaune.

Ensuite les tables furent couvertes de viandes : antilope avec leurs cornes, paons avec leurs plumes, moutons entiers cuits au vin doux, gigots de chamelles et de buffles, hérissons au garum, cigales frites et loirs confits. Dans des gamelles en bois de Tamrapanni flottaient, au milieu du safran, de grands morceaux de graisse. Tout débordait de saumure, de truffes et d'assa foetida. Les pyramides de fruits s'éboulaient sur les gâteaux de miel, et l'on n'avait pas oublié quelques-uns de ces petits chiens à gros ventre et à soies roses que l'on engraissait avec du marc d'olives, mets carthaginois en abomination aux autres peuples...." (p. 3 et 4. DE Salammbo Coll GF). (Le garum était une sauce très prisée des Romains et des Etrusques. Elle était à base de poisson ayant fermenté dans une grande quantité de sel. Une sorte de Nuoc Man) (L'Asa foetida est une résine séchée, extraite  rhizome de deux espèces de fenouils géants poussant en Orient. L'asa-foetida fraiche est blanchâtre et solide. Elle passe du rose au brun-rouge en s'oxydant. On la trouve généralement sous forme de poudre. Son odeur d'œuf pourri provient de la grande quantité de soufre qu'elle contient)

Bouvard et Pécuchet, archétypes de la bêtise, fidèles à eux-mêmes, éprouveront quelques déboires culinaires au grand dam de leurs convives : " Bouvard plaça les deux dames auprès de lui, Pécuchet le maire à sa gauche, le curé à sa droite; et l'on entama les huitres. Elles sentaient la vase. Bouvard fut désolé, prodigua les excuses et Pécuchet se leva pour aller dans la cuisine faire une scène à Beljambe. Pendant le premier service, composé d'une barbue entre un vol-au-vent et des pigeons en compote, la conversation roula sur la manière de fabriquer le cidre. Après quoi on en vint aux mets digestes et indigestes... En même temps que l'aloyau, on servit du bourgogne. Il était trouble. Bouvard attribuant cet accident au rinçage de la bouteille, en fit goûter trois autres sans plus de succès, puis versa du saint julien, trop jeune évidemment; et tous les convives se turent."

Quant à Flaubert lui-même, comme en témoignent ses écrits et sa silhouette, il fut pendant toute sa vie un amateur de bonne chère. Il suffit de parcourir son journal ou les écrits de ses pairs, Maupassant, les Goncourt, Daudet et bien d'autres encore...

" En province, la vie tourne autour de la table. Les souvenirs de famille sont des souvenirs de galas. La cuisine y est l'âme de la maison; et dans un coin les aïeules parlent d'une voix cassée des pêches qui étaient plus belles de leur temps et des écrevisses dont un cent, en leur jeune temps, emplissaient une hotte. Le tournebroche est comme le pouls ronflant de la vie provinciale. L'appétit y est une institution; le repas une cérémonie bienheureuse, la digestion une solennité. La table en province est ce qu'est l'oreiller conjugal au ménage, le lien, le rapatriement et la patrie. Ce n'est plus un meuble, c'est presqu'un autel. L'estomac prend en province quelque chose d'auguste et de sacro-saint. Le ventre n'est plus ventre, mais quelque chose de soi, d'où se répand dans tout le corps une joie animale et saine, une plénitude et une paix, un contentement des autres et de soi, une douce paresse de tête et de coeur et le plus tranquille acheminement de l'homme vers une belle apoplexie."

Quant à Paris notre cher Gustave n'aura de cesse de fréquenter les restaurants en vogue Chez Magny, puis chez Brébant, le Véfour, les Frères Provençaux, La Pérouse, mais aussi les bonnes tables chez ses amis, les Goncourt, la princesse Mathilde... Lui-même paraît-il, célibataire endurci, recevait fort bien dans sa propriété de Croisset.

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commentaires

F
<br /> "Il lui paya du cidre, du café , de la galette et un foulard" J'espère que c'était un foulard en soie sinon le gentilhomme sera éconduit! hi hi hi<br /> <br /> <br />
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G
<br /> <br /> Evidemment ! De l'Hermès de l'époque n'est-ce pas.<br /> <br /> <br /> <br />

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" Les gens courageux n'existent pas, il y a seulement ceux qui acceptent de marcher coude à coude avec leur peur."
Luis Sepulveda, " L'ombre de ce que nous avons été ", Métailié editeur, p. 148

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