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13 décembre 2009 7 13 /12 /décembre /2009 10:55

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Pour moi ce roman est le dernier des trois, je veux dire dans l'ordre de ma lecture de la trilogie sur Marie.
Que dire de ce livre ?

La première partie du roman se passe en Chine.

« Serait-ce jamais fini avec Marie ? L’été précédant notre séparation, j’avais passé quelques semaines à Shangai, ce n’était pas vraiment un déplacement professionnel, plutôt un voyage d’agrément, même si Marie m’avait confié une sorte de mission (mais je n’ai pas envie d’entrer dans les détails) ».

Voilà comment commence le livre. Tout est annoncé : l’été, Marie, le climat entre Marie et le narrateur et le voyage à l’autre bout du monde. On retrouve très vite les ingrédients de « Faire l’amour », mais cette fois sans la présence de Marie : le grand hôtel, la nuit, le voyage en train, la relation d’affaire avec des autochtones… et un téléphone portable.

Ce dernier objet a son importance, il symbolise le lien à distance entre Marie et son homme, mais aussi la relation avec la mort : « J’avais toujours eu des relations difficiles avec le téléphone, une combinaison de répulsion, de trac, de peur immémoriale, une phobie irrépressible que je ne cherchais même plus à combattre et avec laquelle j’avais fini par composer, dont je m’étais accommodé en me servant du téléphone le moins possible. J’avais toujours plus ou moins su que cette peur du téléphone était liée à la mort – peut-être au sexe et à la mort, mais, jamais avant cette nuit, je n’allais avoir l’aussi implacable confirmation qu’il y a bien une alchimie secrète qui unit le téléphone et la mort. »

Curieux cette impression. Oserais-je dire qu’elle m’est familière et que je comprends parfaitement ce que veut dire Toussaint, ayant moi-même éprouvé maintes fois cette sensation ?

La voix lointaine est un peu comme la mort. On ne la « voit » pas, on ne la « devine » pas, elle est hors de notre champ visuel et d’un seul coup, la sonnerie, comme la mort, vient nous surprendre alors qu’on ne s’y attend pas. Tout appel téléphonique nous prépare à la mort. Il vient troubler le déroulement normal de notre vie, le cours des choses, il bouscule la nature dans sa dimension spatio-temporelle. Le téléphone c’est un peu comme une voix de l’au-delà. C’est l’analyse que j’en fais.

Arrive alors la phrase, bien détachée dans le texte, point culminant du roman : « C’était Marie qui appelait de Paris, son père était mort, elle venait de l’apprendre quelques instants plus tôt. »

Toussaint choisit des mots impersonnels, un style indirect qui met en relief trois mots importants : Marie, Paris , mort. On peut se demander d’ailleurs s’il ne s’agit d’une prémonition ou de la symbolisation de ce qui va se produire dans la relation entre Marie et le narrateur. Le père de Marie jouant le rôle à la fois le rôle de témoin et de « garant » de l’amour entre Marie et son homme. C’est mon interprétation ! Lui disparu cet amour peut se déliter.

Derrière cette mort annoncée, comme par hasard la présence de Marie ne se traduit plus que par sa voix lointaine, voix qui elle-même exprime la mort.

Autre contraste révélateur, quand on sait l’importance extraordinaire qu’accorde Toussaint à la nuit dans ses romans, nuit qui évoque la passion, la sexualité, la violence des corps, Marie parle depuis la lumière : « … j’écoutais la voix de Marie qui parlait dans le soleil du plein après-midi parisien et qui me parvenait à peine altérée dans la nuit de ce train, la faible voix de Marie qui me transportait littéralement… ». Ce contraste entre le soleil et la nuit, exprime la fracture naissante entre ces deux êtres. Elle est inéluctable. Marie n’est plus dans la nuit, elle n’est plus complice, elle s’échappe, précisément à l’instant de la mort de son père.

Quelques pages plus loin, cette phrase criante de vérité, qui me rappelle mon propre vécu : « La voix de Marie s’était tue, plus aucun son ne me parvenait dans l’appareil. Je n’avais pas bougé. Le front contre la vitre, et les sens à l’arrêt, j’avais simplement à l’esprit la phrase comme vide de sens : Henri de Montalte est mort et je continuais de regarder fixement la nuit par la fenêtre». La vie continue, comme le train qui continue sa course effrénée, mais la mort fige la conscience du temps qui s’écoule, elle est arrêt, rupture… Le narrateur n’est plus au cœur de la nuit avec Marie. La nuit est hors de sa portée, il la regarde derrière une vitre. Et c’est la mort, la mort du père de Marie, la mort symbolique de l’amour qui l’unit à Marie qui génère cette distanciation du regard. Quand on est spectateur, on n’est plus acteur !

La deuxième partie du livre se situe à Pékin, encore une mégalopole, comme Tokyo. Le narrateur est pris dans une aventure rocambolesque avec deux complices chinois et il participe malgré lui à une incroyable fuite en moto à travers la ville. Le vertige du monde moderne qui refait surface. C’est la vie qui reprend son cours, à mille à l’heure. Le rythme du roman s’accélère, il génère une tension romanesque intense (un mot qu’aime bien Toussaint) qui trouvera son apogée dans sa confrontation avec le monde du silence et de la mort.

Arrive en effet le troisième temps du roman. La mer, l’île d’Elbe, la lumière, la mort et enfin Marie. « J’avais le sentiment d’être hors du temps, j’étais dans le silence – un silence dont je n’avais plus idée. »

« Depuis le début de la traversée, j’avais le sentiment que ce n’était pas Marie, mais son père que j’allais rejoindre sur l’île d’Elbe… » A l’évidence, notre homme va humer la mort, la vraie, mais aussi la mort annoncée de sa relation avec Marie. Lorsqu’il veut communiquer avec Marie, il éprouve les pires difficultés. Le téléphone fixe ne répond pas. Pour joindre le portable de Marie, il doit utiliser un téléphone connecté à l’étranger, bref la communication devient complexe et difficile. Elle ne peut d’ailleurs pas s’établir puisque Marie participe à la cérémonie d’enterrement de son père dans l’église. Laquelle église est d’ailleurs située à à peine cent mètres du lieu où se trouve le narrateur. Bref le téléphone ne joue plus aucun rôle. La mort est consommée.

Vient enfin le pénible épisode de l’amour physique entre les corps, acte manqué si l’on peut dire où les sensations individuelles se heurtent sans jamais se conjuguer comme par le passé. Constat de détresse réciproque. Fuite de l’un, absence, fuite de l’autre, disparition, mort ?

Le roman suivant est annoncé

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" Les gens courageux n'existent pas, il y a seulement ceux qui acceptent de marcher coude à coude avec leur peur."
Luis Sepulveda, " L'ombre de ce que nous avons été ", Métailié editeur, p. 148

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