Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
26 février 2011 6 26 /02 /février /2011 00:30

Capture-plein-ecran-02252011-230734.bmp.jpg

 

Il s'agit d'un texte court, à mi-chemin entre la nouvelle et le roman, écrit en 1903.

Le personnage central est Erika, une jeune femme qui découvre la vie et qui effleure les choses et les êtres. Elle semble se situer à côté du monde. Lorsqu'elle croise un jeune musicien, dont Stefan Zweig ne nous révèlera jamais le nom, avec qui elle tombe en harmonie, elle découvre peu à peu au coeur d'un quotidien monotone les premiers reliefs de la vie. En fait, elle est embarquée dans un rêve qu'elle ne maîtrise pas. Elle subit cette douce relation, alors que l'homme, le musicien vit pleinement cette rencontre.

Le corps de la jeune femme est impuissant à exprimer son premier élan, elle se contente d'images et de rêves. L'homme, respectueux des convenances et de sa tendre amie n'ira pas au bout de son désir, même s'il l'exprime un instant avec maladresse : "Je l'ai ignoré pendant longtemps . Je ne le sais que depuis peu. Je... je vous désire."

Or, l'effet de cet aveu ne va pas dans le sens espéré. "La sensualité de l'homme tuait l'amour tendre de la jeune fille et ses frissons les plus sacrés. Le bonheur qui avait plané au-dessus de l'obscurité ainsi que de scintillants nuages vespéraux était brisé désormais et la nuit commençait à tomber, lourde et noire dans un silence menaçant, déchirant, impitoyable..."

Le temps passe. L'homme disparait littéralement du récit, mais il reste présent dans le souvenir d'Erika. Celle-ci ne pense plus aux instants de bonheur passés que sous la forme de souvenirs, d'images quelque peu jaunies. Du moins le croit-elle.

Stefan nous montre avec tout l'art de l'analyse qui le caractérise que ce calme apparent cache au plus profond de la jeune femme une passion brûlante et fougueuse qui ne demande qu'à exploser.

" Car elle ne savait pas que la foi en cette grande paix n'est-elle aussi qu'une nostalgie, qu'elle n'est que le désir le plus ardent, le plus constant, qui nous empêche de parvenir à nous-mêmes. Elle croyait avoir vaincu son amour et elle y pendait comme on pense à un mort. Ses souvenirs se paraient de teintes suaves, apaisantes, des épisodes oubliés resurgissaient, et entre la réalité et ses douces rêveries se tissaient des fils secrets qui finirent par s'emmêler de façon inextricable. Car elle rêvait de ce qu'elle avait vécu comme d'un roman étrange et beau, lu il y a longtemps; les personnages réapparaissent lentement et prononcent des paroles connues, et pourtant très lointaines, tous les lieux redeviennent visibles, comme illuminés par un éclair soudain, tout redevient comme autrefois."

Je trouve ce passage extraordinaire, Zweig nous montre avec la finesse qui le caractérise comment le passé qu'on croyait à jamais réduit à l'état de souvenir revient alimenter la flamme du réel d'aujourd'hui, flamme toute intérieure qui ne concerne qu'un seul personnage, Erika.

A l'occasion d'un événement, un concert auquel participe le musicien, Erika libère son imaginaire et ses sensations physiques, elle devient littéralement envoûtée jusqu'à cet instant tragique où l'implacable réalité lui révèle qu'elle est désespérément seule. L'autre, l'objet de son amour n'existe plus. Alors Erika sombre dans le désespoir, elle imagine les choix les plus tragiques pour réaliser son destin, mais elle n'ira pas jusqu'au bout. Elle retournera à sa vie première sans plus aucun espoir de vivre l'amour. Elle se résignera.

" Ainsi s'émietta tout ce qui faisait la vigueur de son âme. La vie s'abattit sur elle ainsi qu'une giboulée de grêle qui détruit semences et fleurs. Elle ne voyait plus devant elle que le vide et les ténèbres, des ténèbres profondes et impénétrables qui cachaient tous les chemins, aveuglaient tous les regards et engloutissaient sans pitié les cris retentissants de détresse. Il n'y avait plus en elle que du silence, un silence morne, absolu, le calme de la mort." Phrase terrible d'un beauté mortelle !

Incommunicabilité entre une femme et un homme, imaginaire déconnecté de la réalité, approche égocentrique de l'autre, décalage entre le sur-moi et les pulsions profondes... que dire de la richesse de ce récit ?

Stefan Zweig a l'art de décrire ces situations où les êtres sont présents l'un à l'autre dans le réel, mais où ils n'arrivent pas à se rencontrer, à vivre pleinement et en même temps leurs sentiments, leurs désirs.

Partager cet article
Repost0

commentaires

P
<br /> En voilà un que je n'ai pas lu! Et pourtant je croyais les avoir tous empruntés à la bibliothèque.<br /> <br /> <br />
Répondre

Présentation

  • : LIVREAPART
  • : Publication de critiques relatives à des romans, des essais français, francophones ou étrangers. Articles, interviews de philosophes. Réflexions personnelles Photos de voyages
  • Contact

LIBRE EXPRESSION DU JOUR

" Les gens courageux n'existent pas, il y a seulement ceux qui acceptent de marcher coude à coude avec leur peur."
Luis Sepulveda, " L'ombre de ce que nous avons été ", Métailié editeur, p. 148

Archives

Pages